Le Manifeste du parti communiste

Le Manifeste du parti communiste Résumé et Analyse

Chapitre I : Bourgeois et prolétaires

Le Manifeste communiste commence par la fameuse généralisation de Marx selon laquelle " l’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire des luttes de classes " (p.79). Marx décrit ces classes en termes d’oppositions binaires, avec un parti oppresseur et un parti opprimé. Alors que les sociétés humaines ont traditionnellement été organisées selon des hiérarchies de classe complexes, la disparition du féodalisme après la Révolution française a entraîné une simplification de l’antagonisme de classes. Plutôt que de nombreuses classes qui combattent entre elles (par exemple, la société de la Rome antique, qui se divise entre patriciens, chevaliers, plébéiens et esclaves, la société capitaliste peut être divisée en deux classes : la bourgeoisie et le prolétariat.

Selon Marx, l’état actuel des choses est le résultat d’un long processus historique. La découverte et la colonisation du Nouveau Monde aux XVIe et XVIIe siècles ont exigé de nouvelles méthodes de production et d’échange. En raison de la demande pour une production plus efficace et à plus grande échelle, le système de corporations médiéval a cédé la place à de nouvelles méthodes de fabrication, définies par l’utilisation généralisée de la division rationalisée du travail, de la vapeur et des machines. Ce sont les bourgeois " capitalistes modernes, propriétaires des moyens de production et patrons du travail salarié " (p.79) qui ont été les agents de ces révolutions économiques et industrielles.

La nouvelle puissance économique de la bourgeoisie lui a également octroyé un pouvoir politique. Alors que la bourgeoisie était auparavant au service de la noblesse ou de la monarchie, à partir du XIXe siècle, elle commence à contrôler les États représentatifs d’Europe. En effet, comme le note Marx, " l’Etat moderne n’est qu’un comité pour gérer les affaires communes de toute la bourgeoisie " (p.82). Cette émancipation politique s’accompagne également de la destruction des fictions sociales sur lesquelles les sociétés précédentes étaient basées. Au lieu de se concentrer sur la relation des hommes entre supérieurs et inférieurs " naturels " , dans cette vie et la suivante, ou même les Droits de l’Homme défendus dans la première moitié du XIXe siècle, la bourgeoisie introduit une éthique fondée sur le droit absolu au libre-échange et la poursuite rationnelle et égoïste du profit.

Il ne suffit pas, cependant, que la bourgeoisie change radicalement tout ce qui l’a précédée; elle doit constamment évoluer pour pouvoir développer et exploiter les marchés. Comme le dit Marx, " La révolution constante de la production, la perturbation ininterrompue de toutes les conditions sociales, l’incertitude et l’agitation constante distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes " (p.83). Ce dynamisme économique et social déstabilise les frontières entre nations et encourage la mondialisation. Il en résulte un impérialisme économique qui exige que les autres nations se plient aux pratiques bourgeoises ou soient reléguées à l’arrière-plan économique. De cette façon, la bourgeoisie " crée le monde à son image " (p.84).

Marx utilise l’histoire de l’évolution de la bourgeoisie pour justifier sa thèse centrale: les forces de production se développent plus rapidement que l’ordre sociopolitique dans lequel elles surgissent. Cela entraîne une modification radicale de l’ordre sociopolitique afin de rattraper les forces de production. Marx affirme que c’est ce qui s’est produit dans le passage du féodalisme au capitalisme bourgeois. Ce processus, cependant, ne s’est pas arrêté. Les conditions de l’existence de l’ordre bourgeois sont susceptibles d’être ébranlées par les nouvelles forces de production mises en place par la bourgeoisie-même. Notamment, on observe l’émergence de nombreuses crises économiques, résultant d’une épidémie de surproduction, elle-même liée au développement économique bourgeois qui a secoué l’Europe dans les années 1830 et 1840. En réponse à ces crises, la bourgeoisie doit soit réduire sa production, soit trouver de nouveaux marchés, soit exploiter davantage les anciens marchés. Marx, cependant, affirme que toute tentative de rééquilibrage est vaine ; elle ne traite pas les problèmes sous-jacents qui engendreront des crises plus aiguës à l’avenir. En effet, les problèmes de fond ne peuvent être convenablement soignés, puisque le capitalisme contient en lui les semences de sa propre destruction, semences qu’il nourrit lui-même par la création nécessaire et l’exploitation d’une nouvelle classe, le prolétariat.

En tant qu’esclave de son maître bourgeois, le prolétariat est constamment en opposition avec la bourgeoisie. Cet antagonisme, cependant, conduit à la mobilisation de masse facilitée par l’amélioration constante des technologies de communication du prolétariat, toujours plus conscient du pouvoir collectif susceptible d’opérer des changements dans les salaires et les conditions de travail. En éduquant le prolétariat, la bourgeoisie aide les masses ouvrières à se mobiliser en faveur de leurs propres objectifs politiques. A mesure que le prolétariat devient plus nombreux et organisé, les membres de la bourgeoisie commencent à réaliser que leur classe va péricliter et que le prolétariat va triompher. Cette bourgeoisie clairvoyante, dont Marx fait partie, permet à la conscience de classe du prolétariat de se renforcer et précipite son inéluctable victoire.

A terme, le prolétariat se révoltera, rejetant les chaînes qui le lient à la bourgeoisie. Il condamnera toutes les lois, la morale et les religions bourgeoises comme des façades pour les intérêts économiques bourgeois. Il détruira la société en éradiquant la condition de sa propre servitude, la propriété privée. Tout cela est l’aboutissement inévitable de l’appétit sans fin des bourgeois pour le profit, qui a fait naître la classe prolétarienne et a continuellement réduit son bien-être. Ainsi, la bourgeoisie ébranle elle-même les conditions de sa propre existence. Comme le conclut Marx : " Ce que la bourgeoisie produit donc, avant tout, ce sont ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables " (p.94).

Analyse chapitre I :

Le Manifeste communiste fut publié pour la première fois à la veille des révolutions qui secouèrent l’Europe en 1848. Il s’agissait d’une déclaration d’intention pour la nouvelle Ligue communiste de Marx. Son ton direct, voire prophétique, est celui d’un homme expliquant avec confiance à un monde confus les raisons d’un chaos qui n’avait pas encore commencé. Pourquoi cette confiance? La réponse dépend de la vision déterministe de l’histoire de Marx.

Marx a hérité de Hegel, son père philosophique, l’idée du progrès historique. Comme Hegel, Marx croyait que l’histoire humaine se déroule selon une série distincte d’étapes historiques, chacune suivant nécessairement l’autre. Ces étapes conduisent finalement à un point final utopique prescrit, après lequel il n’y aura plus de changement, une fin de l’histoire. Contrairement à Hegel, cependant, Marx pensait que ces étapes pouvaient être prédites. Selon lui, c’est parce qu'il y a des lois scientifiques, que l’on peut découvrir par des méthodes empiriques, qui régissent le progrès de l’histoire. Dans un tel univers, les gens ne sont que des maïeuticiens, facilitant ou freinant la naissance d’une nouvelle période historique, incapables de modifier la nature du résultat final. Marx croyait avoir découvert ces lois et avec la certitude d’un physicien qui prédisait la trajectoire d’un projectile, il prédisait la fin du capitalisme et le triomphe du communisme.

Selon Marx, le moteur du changement dans l’histoire est l’antagonisme des classes. Les époques historiques sont définies par la relation entre les différentes classes à différents moments dans le temps. C’est ce modèle que Marx décrit dans son récit du passage du féodalisme au capitalisme bourgeois, et dans son pronostic du passage du capitalisme bourgeois à la domination du prolétariat. Ces changements ne sont pas le résultat d’événements sociaux, économiques et politiques aléatoires ; chacun suit l’autre dans une succession prévisible. Quand il a écrit Le Manifeste, Marx pensait sonner le glas du capitalisme quelques mois avant sa disparition.

Il est cependant important de noter que cet antagonisme prend également une forme très spécifique, celle de la dialectique. Selon le récit de la dialectique de Marx, qu’il adapte de celle de Hegel, chaque classe est instable, destinée à la destruction ultime en raison de ses contradictions internes. De ses cendres, naît une nouvelle classe qui trouve les réponses aux contradictions de son prédécesseur, mais qui en crée de nouvelles, qui seront la cause de sa propre destruction. En d’autres mots, la bourgeoisie doit créer le prolétariat comme condition de son propre développement, afin de travailler dans ses industries florissantes. Au fur et à mesure, elle doit de plus en plus exploiter le prolétariat (pour minimiser les coûts de production), tout en lui donnant les moyens de se regrouper à travers la politique. La conséquence nécessaire en est que le prolétariat gagnera le pouvoir et renversera ses oppresseurs. La contradiction interne est le besoin bourgeois du travail du prolétaire, un besoin qui, une fois satisfait, crée les conditions de l’éradication de la bourgeoisie.

Notons le rôle central de l’économie dans le point de vue de Marx. Tandis qu’il est possible de voir le progrès de l’histoire (si nous croyons au progrès) en termes d’idées révolutionnaires, (c’est-à-dire l’humanisme de la Renaissance, la révolution scientifique, les Lumières, etc), Marx a vu le progrès de l’histoire en termes matérialistes. Les grandes idées qui caractérisent les sociétés sont toujours le reflet des réalités économiques sous-jacentes. Dans le langage marxiste, la superstructure (lois, morale, religion, politique, esthétique : bref, la culture) est toujours déterminée par l’infrastructure (les méthodes de production et d’échange économiques) ; les pensées et les comportements des gens sont toujours déterminés par leur environnement social. Ce que nous considérons comme des révolutions culturelles, même de grandes révolutions politiques comme la Révolution française, est vraiment le produit de problèmes économiques plus profonds exprimés par l’antagonisme de classe. Cela n’est peut-être pas immédiatement évident, car l’infrastructure se développe toujours plus rapidement que la superstructure. De temps en temps, cependant, la superstructure fait des bonds en avant pour rattraper l’infrastructure. Ce sont ces derniers que nous percevons communément comme des révolutions idéologiques.

Voici donc la théorie de Marx de l’histoire humaine, qui a été la cible de beaucoup de critiques. Il semble y avoir trois questions centrales qui doivent être évaluées séparément : 1) L’histoire est-elle régie par des lois immuables ? 2) Si oui, l’histoire a-t-elle une fin ? 3) Quelle est la valeur morale de cette fin ? Marx pensait clairement que la réponse à la première question était oui. On pourrait corroborer cette idée avec une histoire métaphysique sur la Providence ou les fins naturelles. Marx, cependant, revendiquait un statut scientifique pour ses idées, ce qui lui permettait de s’appuyer sur des justifications abstraites. Cependant, s’il existe des tendances historiques, elles doivent être déduites des données historiques. Il est évident que Marx, au moins à ce stade de sa carrière, n’avait pas rassemblé assez de données pour justifier la force de ses conclusions. Sa vision du capitalisme comme une entreprise contre-productive était fondée presque uniquement sur son observation de l’industrie textile dans le Lancashire, en Angleterre. Pour Marx, ce comté représentait le capitalisme au bord de l’abîme, au bord d’une révolte prolétarienne. Le fait qu’il y avait peu d’autres régions dotées d’une telle sophistication industrielle ailleurs en Europe ne dérangeait pas Marx. Il était certain que le Lancashire était l’avenir et la fin du capitalisme. Avec le recul, il est facile de voir que l’opinion de Marx était biaisée. C’était simplement un stade précoce du capitalisme, assez primitif pour les normes d’aujourd’hui, ne représentant, de plus, aucune autre industrie. Les révolutions prévues par Marx n’ont eu lieu qu’au XXe siècle, dans des pays, contrairement à l’attente de Marx, avec des économies capitalistes dans leurs phases préliminaires. Marx a grandement sous-estimé la capacité de l’innovation humaine à construire de nouvelles méthodes de production plus efficaces qui, plutôt que de surcharger l’ouvrier, ont facilité son travail physique.

Ainsi, ceci ne démontre pas de façon décisive qu’il n’existe pas de modèles historiques récurrents ou de lois, mais cela remet en cause la prétention de Marx à l’objectivité scientifique. En effet, notons que, plus tard, de nombreux marxistes et d’autres penseurs ayant des sympathies marxistes (beaucoup de soi-disant postmodernistes, tels que Lyotard, Foucault et Derrida) ont avancé des théories mettant l’accent sur la construction sociale de toutes les idéologies, marxisme inclus. Celles-ci remettent en question toutes les théories dites du Grand Récit qui cherchaient à réduire l’histoire humaine à une progression linéaire régie par des lois que l’on pourrait expliquer simplement.

La question d’une fin de l’histoire est liée à la question du déterminisme. Il n’est cependant pas certain que le déterminisme exige une fin. Rien, même dans l’histoire dialectique de Marx, ne rend nécessaire une résolution définitive des contradictions. On pourrait facilement imaginer une interminable série de conflits, dans lesquels le moteur du changement est, par exemple, la condition biologique et non le conflit des classes. Marx défend l’idée d’une fin car il cherche à démontrer que le prolétariat, la classe dite universelle, abolira toutes les distinctions de classe en détruisant la propriété publique. Une société sans classe ne peut pas être gouvernée par les règles du conflit de classe. Mais pourquoi la classe devrait-elle être le seul moteur du changement? Et la possession de biens est-elle le seul indicateur de classe sociale? Peut-être est-ce la force de certaines idéologies (religieuses, politiques ou autres) qui poussent les gens à agir les uns contre les autres plus que la possession de biens. Par exemple, dans les révolutions de 1848 où Marx prédisait la victoire du prolétariat, le nationalisme était une force beaucoup plus puissante que le conflit de classe.

Même s’il y a une fin, il ne semble pas évident de choisir laquelle. Nous pourrions nous diriger sans le vouloir vers un destin que nous préférerions éviter. Marx insiste sur le fait que le capitaliste n’est pas particulièrement égoïste quand il exploite le prolétariat, ni le prolétariat particulièrement altruiste quand lui et ses frères se rebellent contre leurs oppresseurs. Chaque partie ne fait que répondre aux lois de l’histoire. Dans ces circonstances, les qualités de vice et de vertu ne sont pas entièrement adéquates. Pourquoi, alors, Marx souhaite-t-il la fin de l’histoire et cherche-t-il à en précipiter l’arrivée ? Dans quelle perspective Marx construit-il son jugement moral si ce n’est dans celle d’une classe en particulier ? C’est une question importante, que Marx n’aborde pas explicitement dans le Manifeste. En fin de compte, la réponse de Marx à cette question s’appuie sur des théories de la nature humaine et son explication des conséquences morales du capitalisme, en particulier sa théorie de l’aliénation. Sans élaboration de ces théories, la volonté de Marx d’inciter à la violence en faveur du prolétariat est sans justification claire.

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