L'acte suivant s'ouvre sur un bureau où plusieurs nouveaux personnages sont présents : Botard, Dudard et M. Papillon. Daisy est également là. Ils discutent de l'incident du rhinocéros, qui a fait l’objet d’un article dans le journal. Botard est sceptique et ne fait pas confiance aux journaux. Daisy soutient que l’événement a bien eu lieu, mais elle ne parvient pas à convaincre Botard, car celui-ci change de sujet. Il demande de quelle couleur était le chat qui a été écrasé. S'ensuit une conversation absurde sur les chats, les rhinocéros et leur origine géographique.
Bérenger entre en scène, et tous les personnages lui demandent ce qu’il pense du rhinocéros. Il confirme ce que Daisy a dit, mais Botard persiste et lui dit que sa consommation d’alcool altère la fiabilité de ses souvenirs. Il qualifie l'histoire du rhinocéros de propagande. M. Papillon, le patron, s'inquiète de l'absence de M. Bœuf à son bureau. Mme Bœuf arrive, essoufflée, en expliquant que son mari a la grippe. Toutefois, elle avoue ensuite avoir été poursuivie par un rhinocéros depuis chez elle. Celui-ci est actuellement en bas de l’immeuble et cherche à y entrer.
En voyant l’animal, Botard finit par se rendre à l’évidence, mais seulement après avoir suggéré qu'il pourrait s'agir d'une illusion. Bérenger recommence à se demander combien de cornes a l’animal et à quelle espèce il appartient. Les personnages se demandent pourquoi le rhinocéros attend en bas de l’immeuble en tournant en rond.
Soudain, Mme Bœuf réalise que le rhinocéros est en fait son mari. M. Papillon annonce simplement que M. Bœuf est licencié, Dudard se demande si l'assurance couvre une telle situation, tandis que Botard décide de signaler l’événement à son comité d’action. Daisy appelle les pompiers. Mme Bœuf saute par la fenêtre, atterrit sur le dos de son mari et part. Daisy explique avoir du mal à joindre les pompiers qui sont débordés par le nombre de rhinocéros. Botard admet alors n'avoir jamais douté de la véracité des événements et affirme comprendre ce qu’il se passe, sans pour autant expliquer quoi que ce soit à quiconque.
Les pompiers arrivent sur place et évacuent les rescapés en les faisant passer par la fenêtre. M. Papillon ordonne à tous les employés de revenir au bureau l’après-midi. Bérenger décide de retrouver Jean pour faire la paix avec lui. La scène se termine alors qu'il et Dudard sortent par la fenêtre, chacun étant trop poli pour sortir en premier, se répétant " Après vous ”.
Analyse
Une fois de plus, l'acte débute en nous présentant un groupe de personnes ordinaires évoluant dans un cadre tout aussi banal. Ce groupe, tout comme celui de la place de la ville, vaque à ses occupations quotidiennes. On y trouve un patron, une réceptionniste, des employés mécontents et d'autres plus ambitieux. La conversation tourne autour de l'article paru dans le journal au sujet de l’apparition des rhinocéros, un événement si absurde qu'il est difficile à croire.
Le fait que Botard change de sujet pour poser des questions sur la couleur du chat écrasé met en lumière la vacuité des conversations qui rythment notre quotidien. Les personnages présents lors du premier acte, le lecteur et le spectateur, savent tous qu'un rhinocéros est effectivement apparu, mais cela n'empêche pas Botard de soutenir le contraire, bien qu'il n'était pas présent à ce moment-là. Cela nous rappelle également le Logicien et sa fausse logique. Botard est convaincu de la véracité de son raisonnement. Pourtant, malgré son apparence de personne réfléchie, il préfère s'appuyer sur ses propres capacités de raisonnement et son prétendu " esprit méthodique ". Cependant, nous constatons tous qu'il se trompe, à un point tel que Botard devient une allégorie de l’absurdité. Ionesco et lui sont d'accord pour dire qu'il est primordial de penser par soi-même, mais la plupart d'entre nous se révèle souvent incapable de le faire.
Botard illustre une fois de plus la manière dont les individus persistent à ne pas changer d’avis malgré l'existence de preuves du contraire. Même face aux témoignages de Daisy et de Bérenger, ainsi qu'à l'article du journal, il refuse catégoriquement de croire qu'un rhinocéros puisse errer dans le village. Il ne sait même pas encore que le rhinocéros est un humain métamorphosé. Dans la vaste métaphore de Ionesco sur les événements qui ont conduit à l'Holocauste, Botard représente le peuple allemand qui n'a tout simplement pas pu concevoir que les nazis avaient mis en place des camps de concentration pour exterminer la population juive du pays.
Quand les personnages présents dans le bureau réalisent que le rhinocéros devant l’immeuble est M. Bœuf, leurs réactions dévoilent ce que pense Ionesco de la nature humaine. Botard et M. Papillon rejettent la responsabilité sur autrui. Dudard pense à l'assurance, tandis que Daisy pense à appeler les pompiers. Cependant, aucun d'entre eux n'aborde clairement le caractère fondamentalement absurde de la situation et le danger que représentent les rhinocéros.
Pourtant, l'atmosphère de cette scène est plus trouble que celle de la précédente. Auparavant, les rhinocéros se contentaient d'aller et venir. Désormais, on sait qu'ils sont des humains qui se sont métamorphosés. Comme dans un conte de fées ou un mythe, un individu peut se transformer en animal. Cette excentricité est une caractéristique centrale du théâtre de l’absurde, où l'absurdité est moins dérangeante pour ceux qui la vivent que pour ceux qui la contemplent.
Tout cela est accompagné par l'un des procédés littéraires les plus efficaces de Ionesco : l’humour. Le fait que les humains se transforment en rhinocéros est tellement absurde qu'il peut susciter des rires dans le public. La remarque de Dudard concernant l’assurance est également grotesque. De même, à la fin de l’acte, Bérenger et Dudard sortent ensemble par la fenêtre car ils sont tous deux trop polis pour ne pas laisser passer l’autre en premier. Ces touches d'humour nous rappellent que l'étrangeté ne réside pas seulement dans l'intrigue principale, mais aussi dans les scènes du quotidien.
Ionesco clôt la scène en laissant le spectateur deviner que la situation ne fera qu’empirer. Tout comme la place de la ville durant la première scène, le bureau est complètement chamboulé. Le dramaturge ne donne aucun élément permettant de comprendre pourquoi les humains se transforment en rhinocéros. Les réactions très variées des personnages nous préparent à l’impact que tout cela aura sur les habitants de la ville. Surtout, le fait que Mme Bœuf décide de rejoindre son mari nous fait nous demander si les rhinocéros ne conservent pas une petite part d’humanité.