Rhinocéros

Rhinocéros Résumé et Analyse

L'histoire commence sur la place animée d'une petite ville provinciale, un dimanche après-midi. La Ménagère, tenant un chat dans une main et un panier de provisions dans l'autre, traverse rapidement la scène avant de partir. L’Épicière exprime son désaccord envers elle, l'accusant d'être trop fière pour fréquenter son commerce. L’Épicière quitte ensuite la scène.

Jean et Bérenger, venant chacun d'une entrée opposée, font leur entrée. Jean est impeccablement vêtu, chaussé de souliers cirés, rasé de près, et ses vêtements sont parfaitement ajustés. En revanche, Bérenger a l’air négligé : il est débraillé, ses vêtements sont froissés et ses cheveux sont mal peignés.

Les deux hommes s’installent dans un café. Jean reproche immédiatement à Bérenger d'être en retard à leur rendez-vous, à quoi Bérenger répond en demandant à Jean s'il est lui-même arrivé à l'heure. Jean admet finalement qu'ils sont arrivés en même temps, car il déteste attendre et fait donc exprès d’arriver en retard. Il reproche également à Bérenger son apparence négligée et son penchant pour l'alcool. Bérenger accepte la critique et explique qu’il boit pour oublier son profond ennui et son aversion pour son travail.

Alors que Bérenger commence à raconter sa nuit de beuverie, un étrange bruit animal se fait entendre au loin, comme si une bête haletait. Le bruit devient de plus en plus fort, obligeant les deux hommes à élever la voix pour poursuivre leur conversation.

Soudain, on entend le galop d’un animal lourd et puissant, puis les personnages voient passer un rhinocéros. À ce moment-là, plusieurs actions se déroulent presque simultanément. L'épouse de l'épicier appelle son mari pour qu’il voie le rhinocéros. La Ménagère laisse échapper ses courses, mais continue à tenir fermement son chat. Le Vieux Monsieur, élégamment vêtu et muni d’une canne, vient à son secours. Le Patron du café demande des explications. Le Logicien, un homme coiffé d'un chapeau de paille portant des lunettes, fait son entrée. Pendant ce temps, Bérenger reste assis, apathique. De manière aussi énigmatique qu'il est apparu, le rhinocéros disparaît.

Tous les personnages sur scène, à l'exception de Bérenger, s'exclament en chœur : " Ça alors ! ". Chacun retourne vaquer à ses occupations. L'Épicier persuade finalement la Ménagère de faire ses achats dans son magasin. Le Logicien l’aide à ramasser ses provisions. Pendant ce temps, Jean et Bérenger commandent deux pastis. Jean demande à Bérenger ce qu’il a pensé du rhinocéros, mais Bérenger ne semble pas surpris et répond simplement que le passage de l’animal a soulevé de la poussière. Jean est bouleversé alors que Bérenger reste impassible : " c’était un rhinocéros, eh bien, oui, c’était un rhinocéros !... Il est loin... il est loin… ”.

Le Logicien entreprend d'expliquer au Vieux Monsieur la définition d'un syllogisme, composé d’une proposition principale, d'une proposition secondaire et d'une conclusion. Jean reproche à Bérenger son manque de réaction face au rhinocéros et lui dit qu’il est en train de rêver. Bérenger répond qu’il ne rêve pas puisqu’il n’est pas endormi, mais Jean affirme que rêver, que ce soit éveillé ou endormi, revient au même. Bérenger essaie sans enthousiasme de trouver des explications à la présence du rhinocéros, mais Jean n’est pas convaincu. Les deux hommes finissent par se disputer, le ton monte.

C'est alors que Daisy, une jeune dactylo, entre en scène. En la voyant, Bérenger se lève brusquement et renverse son pastis sur le pantalon de Jean. Jean est agacé, mais Bérenger le supplie de rester discret pour que Daisy ne le voie pas dans cet état. Après le départ de Daisy, Jean reproche de nouveau à Bérenger sa consommation d’alcool. Celui-ci avoue qu’il boit pour ne pas penser à ses angoisses et à son mal-être.

Jean heurte accidentellement le Logicien, qui est réapparu. La conversation du Logicien avec le Vieux Monsieur sur les syllogismes reprend de plus belle. Le Logicien soutient que puisque les chats ont quatre pattes, tout ce qui possède quatre pattes est un chat. Le Vieux Monsieur semble adhérer à cette logique.

Le dialogue entre Jean et Bérenger se poursuit, et Bérenger réfléchit au sens de la vie. Jean est perplexe et pense que tout irait mieux si Bérenger buvait moins d’alcool. Il l’implore de se cultiver et de stimuler son esprit. Pendant ce temps, la discussion entre le Logicien et le Vieux Monsieur suit son cours et devient de plus en plus absurde. Grâce à la " logique " du logicien, ils déduisent que Socrate est un chat. Ils semblent trouver cela tout à fait normal.

Finalement, Bérenger promet à Jean de diminuer sa consommation d’alcool et de faire des efforts pour se cultiver et avoir l’air plus soigné. Étonnamment, lorsque Bérenger propose à Jean de l’accompagner au musée durant l’après-midi, Jean répond qu’il ne peut pas car il doit faire une sieste. Il ne peut pas non plus aller au théâtre le soir-même car il a prévu de boire avec des amis.

Le bruit du rhinocéros revient et les personnages doivent continuer leur discussion en criant. Le son se déplace, comme si le rhinocéros passait sur scène. Tous les personnages disent de nouveau, l’un après l’autre, " Oh ! Un rhinocéros ! “. Le bruit disparaît et la Ménagère entre en scène en pleurant car l’animal a écrasé son chat. Le Patron tente de la réconforter en lui offrant un verre, tandis que Bérenger, Jean et le Vieux Monsieur se demandent s'il s’agit d'un seul et même rhinocéros ou non. Ils s’attardent sur le nombre de cornes qu’a un rhinocéros et la différence entre les rhinocéros d’Afrique et d’Asie. Tous les personnages présents sur scène, à l’exception du Logicien, se joignent à la discussion, qui devient très confuse.

Le Logicien sort finalement de sa réserve et tout le monde se tourne vers lui pour qu’il tranche. Il parle avec assurance mais son raisonnement n’a ni queue ni tête. Pourtant, les personnages continuent à l’écouter. Le Logicien sort et tous déclarent qu’ils ne laisseront pas le ou les rhinocéros semer la pagaille dans la ville.

Finalement, Bérenger regrette de s’être disputé avec Jean et commande un verre de cognac. Il renonce à aller au musée.

Analyse

L'apparition du rhinocéros (ou des rhinocéros) est incontestablement l'élément le plus marquant de cette scène. La présence du personnage-titre suggère d'emblée que la pièce revêt une dimension allégorique. En effet, toute l'intrigue et l'ensemble des personnages principaux semblent tourner autour de l'idée d'une sorte de morale, que Ionesco développe au fil de l'histoire. Pour aider le public à comprendre que l'auteur transmettra un message général, Ionesco a choisi de situer l'action dans un décor très ordinaire. Le café représente le lieu de rassemblement des gens ordinaires, quelles que soient leurs origines. L'Épicier, la Serveuse et la Ménagère incarnent des figures communes et génériques qui ne sont pas développées en profondeur. À travers le choix du décor et des personnages, Ionesco opte délibérément pour une esthétique allégorique stylisée plutôt que pour une mise en scène réaliste.

Ionesco établit rapidement que Bérenger et Jean sont des faire-valoir.

Bien qu'ils viennent de milieux différents, ils arrivent ensemble. Bérenger, avec son apparence négligée et ses vêtements froissés, incarne manifestement un certain individualisme, tandis que Jean, soigneusement habillé et impeccable, représente plutôt la conformité. La distinction philosophique entre ces deux personnages prendra de l'ampleur par la suite.

Le premier acte introduit également un thème fondamental : la confrontation entre la véritable logique et la fausse logique. Le personnage du Logicien devrait arbitrer la conversation absurde entre Jean et Bérenger, mais son raisonnement s'avère tout aussi défaillant et trompeur. Bien qu'il puisse donner la définition d'un syllogisme, il peine à l'appliquer. À la fin de l'acte, alors qu'il tente de déterminer le nombre de rhinocéros présents en ville, le Logicien conserve une apparence d'autorité. Bien que son raisonnement soit dépourvu de sens, son autorité suffit pour convaincre. L'Épicier, le Vieux Monsieur et les autres habitants de la ville acceptent son raisonnement sans ciller. Les impératifs de logique et de vérité prendront de plus en plus de place dans la pièce, alors qu'il est évident que les gens ne parviennent pas à articuler un simple raisonnement. La population se contente du rôle de démagogue que joue le Logicien, faute de pouvoir penser par elle-même.

À la fin de l'acte, une inquiétante sensation de danger envahit le public. Non seulement un rhinocéros terrifie la ville, mais les habitants sont incapables de trouver une solution. Tout ce sur quoi ils ont réussi à s'accorder, c'est que les rhinocéros ne devraient pas être autorisés à semer la terreur.

Les critiques ont relevé qu'Ionesco a exploré le thème de la futilité de la vie humaine depuis sa jeunesse. Tout comme le mouvement dadaïste décomposait les éléments et les actions du quotidien pour les transformer, Ionesco questionne le sens de la vie quotidienne en mettant en lumière l'irrationnel de la nature humaine.

Dans ce contexte, Bérenger noie son chagrin dans l'alcool et ne semble pas particulièrement enclin à assumer des responsabilités. Mais que signifie réellement être responsable lorsque la vie ordinaire semble si futile ? Bérenger peut-il trouver le bonheur ? Que doit-il faire pour recouvrer l'espoir ? Combien d'entre nous sont véritablement capables de poser des questions pertinentes et d'utiliser notre capacité de raisonnement pour y répondre ? La fin du premier acte interroge notre aptitude à agir de manière rationnelle dans un monde en proie au chaos.