La lâcheté
La plus grande peur de Garcin est la peur elle-même. Il est constamment tourmenté par l'idée d’être un lâche. Ironiquement, au début de la pièce, il entre dans le salon le menton haut et demande avec désinvolture où se trouvent les instruments de torture, comme si tout était un jeu. Petit à petit, il dévoile ses insécurités. Sartre, qui s'est publiquement opposé à de nombreuses guerres, aurait certainement pu compatir aux penchants pacifistes de Garcin. Cependant, on peut se demander si les convictions politiques et morales affichées par Garcin ne masquent pas une certaine lâcheté. Pourquoi Garcin a-t-il choisi de fuir plutôt que de défendre ses valeurs ?
L'enfer
L'enfer est perpétuellement présent dans la pièce. L’enfer est le salon dans lequel les trois personnages principaux sont emmenés. L’enfer est aussi l'impossibilité de dormir qui les afflige – c’est la perspective de rester éveillé pour toujours, tourmenté par les péchés de son passé: c’est un enfer de l'esprit. Enfin, et surtout, “l'enfer, c'est les Autres !”. Sartre dépeint ainsi l'enfer comme intrinsèquement lié à l'existence et à l'idée que l'on se fait de soi-même. L’absence de miroir dans la pièce est un élément notoire: sans pouvoir se contempler, chacun a besoin de l’autre pour forger son identité. Estelle demande ainsi à Inès de lui décrire sa beauté, Inès implore Estelle de l'aimer et Garcin supplie Inès de lui dire qu'il n'est pas un lâche. Les personnages ne peuvent contrôler leur propre image. C'est pour cela que Garcin refuse de quitter le salon à la fin de la pièce. Il n’a pas convaincu Inès qu’il n’était pas lâche et ne peut pas partir tant qu’il n’a pas accompli cette tâche. Incapables de vivre les uns avec les autres et incapables de vivre seuls, les personnages sont piégés physiquement et moralement. L'enfer est à la fois en eux et hors d'eux.
Le temps
Un mois est l'affaire de quelques minutes dans l'enfer de Sartre. Le rapport temporel entre les personnages et le monde des vivants est en perpétuel déséquilibre. Lorsque Garcin dit que sa femme est morte il y a deux mois, il nuance son propos en disant : “tout à l’heure”. Ironiquement, Sartre place sa pièce dans les règles d’unité de temps et de lieu présentes dans le théâtre classique.
La mort
Estelle refuse de reconnaître qu’elle est morte et assure qu’elle se sent vivante. Elle désigne les personnages comme des “absents”. Ce mot sonne comme un espoir, comme s'il impliquait que les personnages pouvaient revenir parmi les vivants. Ils sont pourtant bien morts, comme Inès le rappelle avec insistance à la fin de la pièce : “Morte ! Morte ! Morte ! Ni le couteau, ni le poison, ni la corde. C'est déjà fait, comprends-tu ? Et nous sommes ensemble pour toujours.”.
L’amour
Dans la pièce de Sartre, l'amour engendre la haine. Les sentiments non partagés d'Inès pour Estelle l'amènent à insulter vicieusement la jeune femme, l'affection d'Estelle pour Garcin désespérant Inès. Ces relations d’amour et de pouvoir aboutissent à la tentative ratée d'Estelle de tuer Inès. Inès est familière avec cette évolution : son amour pour Florence a épuisé toute possibilité de bonheur ou d'espoir. “Six mois durant, j'ai flambé dans son coeur ; j'ai tout brûlé.”, se souvient Inès. “Elle s'est levée une nuit ; elle a été ouvrir le robinet du gaz sans que je m'en doute, et puis elle s'est recouchée près de moi. Voilà.”. L'histoire d'Inès est celle de trois morts : le mari de Florence, écrasé par un tramway ; Florence, meurtrière et suicidaire ; et Inès elle-même, qui a catalysé ce drame. La vie d'Estelle est également l’histoire de trois morts : son bébé, son amant et elle-même. Garcin est aussi condamné pour avoir maltraité sa femme.
La torture
En entrant dans le salon, Garcin commence par remarquer l’absence d'instruments de torture. Estelle et Inès fournissent toutefois toute la torture dont Garcin a besoin. “l'enfer, c'est les Autres !”, proclame-t-il alors. Garcin s'écrie, dans l'un des passages les plus glaçants de la pièce : “J'accepte tout : les brodequins, les tenailles, le plomb fondu, les pincettes, le garrot, tout ce qui brûle, tout ce qui déchire, je veux souffrir pour de bon. Plutôt cent morsures, plutôt le fouet, le vitriol, que cette souffrance de tête, ce fantôme de souffrance, qui frôle, qui caresse et qui ne fait jamais assez mal.”.
Le passé
Malgré tous leurs efforts, les personnages de Huis clos ne peuvent échapper à leur passé. À l'instar de Long Day's Journey Into Night d'Eugène O'Neill, la pièce de Sartre rassemble un petit groupe de personnages dans un même espace et les laisse s'entre-déchirer ; tout comme chez O'Neill, l'arme utilisée le plus souvent et avec le plus de force est le passé : l'homosexualité d'Inès, la luxure d'Estelle, le libertinage de Garcin ; la Florence d'Inès, l’amant mort d'Estelle, la femme de Garcin ; la cruauté d'Inès, le meurtre du bébé d'Estelle, la lâcheté de Garcin. Si la pièce elle-même se déroule dans un présent perpétuel – un présent sans repères temporels, sans nuit, sans jour et sans sommeil – la plupart des dialogues portent sur le passé et plus précisément sur ce que chaque personnage a fait pour arriver en enfer.