La peste
La peste elle-même, en tant que maladie, est un thème du roman. Selon la perspective du lecteur, elle pourrait tout d’abord se rapporter au fascisme et au nazisme de la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu'à la Résistance française. Une interprétation plus large rapproche la peste des gouvernements oppressifs. Une vision plus universelle peut enfin assimiler la peste à l'oppression subie par une minorité sans raison apparente. La peste pourrait aussi désigner son sens le plus primaire – un microbe, imprégnant insidieusement tous les aspects de la vie et rappelant aux êtres humains qu'ils sont soumis aux forces de la biologie et de la nature tout autant qu'à celles de la politique et de l'économie.
L'absurde
La peste qui frappe Oran est thématiquement riche dans son exploration de l'absurde. L'emplacement du roman est choisi au hasard mais la manière impitoyable dont la peste se manifeste laisse penser qu’Oran a été choisie par une puissance supérieure. C'est l'essence même de l'angoisse existentielle que le roman s'attache à dépeindre. La peste ne se soucie pas de la politique, de l'argent, du pouvoir, des souffrances passées ou de la moralité ; elle est tout et elle englobe tout. Les souhaits, les rêves, les peurs, les croyances et les projets n’ont plus aucun sens. La plupart des gens n'ont pas l'habitude de faire face à l'absurde. Camus décrit ainsi les différentes façons dont l’être humain peut affronter l'absence de toute raison.
L’imagination et l’abstraction
Dans le contexte du roman, l'imagination désigne le sentiment d’identification aux autres, l’abandon à l'amour et au chagrin, la confrontation au réel. L'abstraction est perçue comme le fait de se fermer à la réalité et à l'humanité, de s'en tenir aux statistiques, aux philosophies ou aux doctrines, de se concentrer sur les règles, les théories ou les solutions qui existent. Les personnages de la peste dépassent ces attitudes binaires, démontrant la multiplicité des réponses possibles à un fléau comme la peste.
La foi religieuse et l’athéisme
Paneloux et Rieux représentent ces deux types de pensée. En tant qu'athée, Rieux trouve inimaginable qu'un Dieu considéré comme aimant puisse permettre une souffrance comme celle suscitée par la peste. Il estime qu’il est vain d'essayer de comprendre pourquoi Dieu a envoyé la peste ou quels sont les péchés qui ont déclenché l'épidémie. Pour lui, prier n’est pas une façon de combattre la peste.Initialement, Paneloux s'en tient à la doctrine chrétienne classique et considère la peste comme une réponse de Dieu au péché humain. Cependant, après avoir passé du temps sur le terrain parmi les malades et les mourants, il change sa compréhension de Dieu. Il ne renonce pas à sa foi, mais voit son choix comme une acceptation absolue: il ne prétend plus rechercher des réponses ou comprendre ce qu'il se passe. Au contraire, il se résigne au mystère ultime de Dieu.Camus présente ces deux points de vue comme valables, bien que sa sympathie personnelle aille à Rieux. Il montre ainsi que chacun essaie de faire face à la peste à sa manière, que ce soit par la religion, la philosophie, le bénévolat, la souffrance, etc...
L’individualisme
Au début du roman, les habitants d'Oran sont centrés uniquement sur leur propre vie – leurs amours, leurs loisirs, leur passé et leur avenir, leur sentiment inébranlable d'être le centre de l'univers. Cependant, lorsque la peste s'attaque à tous indistinctement, ils perdent ce sentiment d'unicité et d'individualité. Ils sont comme tout le monde, ils n'ont pas de caractéristiques distinctives. Leur présent est le même, leurs passés sont tous superflus, leurs futurs tous suspendus. Au sein de cette nouvelle collectivité, il y a un certain réconfort, mais aussi une perte profonde de ce qui rend la vie palpitante.
L'exil
L'un des aspects les plus terrifiants, incompréhensibles et étouffants de la peste est l'exil sous toutes ses formes. Les gens sont séparés physiquement de leurs proches et piégés dans les murs d'Oran. Ils sont émotionnellement éloignés par l'incapacité du langage à transmettre la réalité de ce qu'ils vivent. Ceux qui tombent malades ou dont des membres de la famille le sont se retrouvent isolés dans des camps et des hôpitaux tenus à l'écart des du reste de la ville. Ils sont considérés comme une menace. Beaucoup sont aussi exilés de Dieu, ne pouvant concilier la souffrance qu'ils vivent et voient avec les promesses du christianisme. Ils sont bannis du passé et de l'avenir, bloqués dans un présent interminable. Il n'y a que la peste, dans le vide de laquelle ils se trouvent enfermés.
La nécessité de témoigner
À la fin du roman, Rieux s'identifie comme l'auteur du récit et explique l'importance de témoigner de la peste. Il devait rendre compte de la façon dont la normalité a été bouleversée, des vies perdues, des actes d'héroïsme discrets, de l'endurance, de la résilience, de la charité et de l'écrasante volonté de vivre. Si personne ne documente un évènement, alors personne ne se souvient. Rieux n'est pas un narrateur parfait. En tant que médecin, il sait qu'il ne sauvera pas tout le monde, mais il veut s'assurer de contribuer à la mémoire collective.