Huit mai : le narrateur est dans sa maison de famille, en Normandie, dans laquelle il a grandi et se sent bien. Il regarde au loin la ville de Rouen et admire les bateaux qui naviguent sur la Seine. Parmi eux, un superbe trois-mâts brésilien qu’il salue.
Douze mai : le narrateur est fiévreux et se sent triste depuis quelques jours. Il s’interroge sur l’origine de ce qui assombrit peu à peu sa gaîté et son bonheur. Il se questionne sur l’existence d’un monde invisible à ses sens qui pourrait expliquer sa tristesse.
Seize mai : sa fièvre s’accroit. Le narrateur pressent qu’un danger plane sur lui et suppose qu’il est peut-être atteint d’un mal mortel.
Dix-huit mai : son médecin lui prescrit des douches et du bromure de potassium pour calmer ses symptômes et l’aider à mieux dormir.
Vingt-cinq mai : l’état du narrateur ne s’améliore pas. Il constate que plus l’heure d’aller se coucher approche, plus il est envahi par une irrépressible peur de dormir, sans toutefois comprendre pourquoi. Chaque nuit, il retarde le moment de rejoindre sa chambre, ferme la porte à double tour, vérifie sous son lit, et, à l’affut du moindre bruit, attend anxieusement que le sommeil s’empare de lui. Quand il finit enfin par fermer les yeux, il sombre dans un cauchemar dans lequel quelqu’un l’étrangle sans qu’il puisse crier ou se défendre. Il se réveille alors en sursaut, allume une lumière et constate qu’il est bien seul dans sa chambre. Il finit par se rendormir calmement jusqu’à l’aube. Il en est ainsi toutes les nuits.
Deux juin : son état s’aggrave encore malgré le traitement prescrit par son médecin. Malgré sa fatigue, il décide d’aller se promener en forêt pour s’y ressourcer au contact de la nature. La balade tourne mal quand, au détour d’un chemin, il est saisi par l’angoissante impression d’être suivi. Il prend peur, panique et perd le sens de l’orientation un instant, avant de finalement retrouver son chemin.
Trois juin : la nuit qui a suivi cette promenade a été épouvantable pour le narrateur qui décide de partir quelques semaines en voyage.
Deux juillet : de retour de son voyage, le narrateur reprend le fil de son récit et annonce qu’il est guéri. Il raconte que durant les semaines qu’il vient de passer loin de chez lui, il a découvert le mont Saint-Michel et que la visite de ce site l’a émerveillé. Il relate une conversation qu’il a eue avec un moine. Ce dernier lui a confié croire en l’existence sur la terre d’autres êtres invisibles aux yeux des hommes, à l’instar du vent dont on est certain de l’existence, mais qu’on ne peut pourtant pas voir. Le narrateur révèle qu’il pense la même chose.
Trois juillet : le narrateur a mal dormi. La veille, à son retour, il a constaté que son cocher avait mauvaise mine. Ce dernier lui a alors expliqué qu’il dormait mal depuis le départ du narrateur.
Quatre juillet : les cauchemars du narrateur ont repris. Dans ceux-ci, il lui semble sentir quelqu’un aspirer sa vie, le laissant brisé à son réveil. Le narrateur envisage de repartir quelques jours si cela continue.
Cinq juillet : à son réveil, le narrateur pense avoir perdu la tête. Il raconte que durant sa nuit très agitée, il s’est réveillé pour boire et a constaté que la carafe pleine d’eau qu’il avait posée la veille sur sa table était, au matin, totalement vide. Il se convainc que la seule explication rationnelle à cet incident est qu’il est somnambule.
Six juillet : le narrateur pense qu’il devient fou, car l’eau de sa carafe a encore été bue pendant la nuit.
Dix juillet : le narrateur fait le compte rendu d’une expérience qu’il a mené les quatre nuits précédentes visant à confirmer que c’est bien lui qui vide la carafe pendant son sommeil. Le résultat de l’expérience démontre au contraire qu’il ne peut pas être à l’origine de la disparition de l’eau de la bouteille. Terrorisé, il décide de partir pour Paris.
Douze juillet : à Paris, il retrouve sérénité et joie. Il se divertit au théâtre, rend des visites, fait des courses et en conclut que sa solitude en Normandie est à l’origine de ses terreurs et de sa déraison à en trouver l’explication dans des phénomènes surnaturels.
Quatorze juillet : jour de fête nationale. Le narrateur expose son opinion sur la stupidité du peuple et de ceux qui le dirigent, sur la notion de ce qui est réel et de ce qui n’est qu’illusion.
Seize juillet : le narrateur raconte que la veille, il est allé dîner chez sa cousine, Madame Sablé, et que parmi les convives il y avait un médecin spécialiste des maladies nerveuses et des manifestations extraordinaires. L’homme a fait une démonstration de magnétisme et de suggestion par l’hypnose sur la maîtresse de maison. Le narrateur ressort songeur de cette soirée, soupçonnant une possible supercherie de la part du docteur. Tous ses doutes se dissipent pourtant au petit matin lorsque sa cousine vient lui emprunter de l’argent comme le lui avait suggéré le docteur la veille pendant la séance d’hypnose. Le narrateur est stupéfait de voir à quel point la suggestion a transformé sa cousine au point de lui faire exécuter une tâche qu’elle n’aurait jamais osé faire si elle avait été dans son état habituel. Lorsque le docteur annule les effets de sa suggestion, Madame Sablé ne se souvient de rien. Le narrateur est bouleversé de cette expérience.
Dix-neuf juillet : Il explique que les personnes auxquelles il a raconté cette troublante expérience se sont moquées de lui au point qu’il ne sait plus quoi en penser.
Vingt-et-un juillet : Il écrit ses réflexions sur l’influence que les lieux peuvent avoir sur l’esprit humain. Il annonce qu’il va rentrer chez lui la semaine prochaine.
Trente juillet : le narrateur est de retour chez lui depuis la veille et il dit que tout va bien.
Deux août : le narrateur dit qu’il passe des journées paisibles.
Quatre août : il rapporte que les domestiques s’accusent les uns les autres de casser des verres, la nuit, dans les armoires.
Six août : le narrateur est totalement bouleversé par un phénomène dont il a été le témoin. Il raconte qu’il se promenait dans son jardin lorsqu’il a vu la tige d’un rosier se tordre et se casser comme si une main invisible venait de cueillir la fleur pour la porter à la hauteur d’un nez, lui aussi invisible. N’ayant pu arracher la rose de cette main invisible pour s’assurer que ce n’était pas une hallucination, le narrateur explique qu’il a néanmoins pu constater de ses yeux que le rosier portait bien une tige fraichement cassée là où quelques secondes plus tôt une rose fleurissait. Le narrateur conclut qu’un être invisible vit bel et bien sous son toit, boit son eau et peut déplacer des objets.
Sept août : le narrateur explique qu’il doute de sa raison. Il pense qu’il n’est pas fou puisqu’il est conscient de son état et est capable de tenir un raisonnement. Il cherche des explications plausibles, scientifiques, à son incapacité à contrôler l’irréalité de ses hallucinations. Il raconte également qu’il se sent oppressé par une force cachée qui le rend mal à l’aise et l’angoisse.
Huit août : le narrateur dit que l’être invisible ne se manifeste plus, mais qu’il en sent néanmoins la présence constante.
Neuf août : il ne se passe rien, mais il a peur.
Dix août : la peur et l’angoisse augmentent.
Onze août : le narrateur dit qu’il peut plus rester ainsi chez lui et qu’il veut partir de cette maison.
Douze août : malgré son envie de partir, le narrateur constate qu’il n’arrive pas à le faire.
Treize août : il se sent vidé de toute volonté, de toute force et de tout courage pour mettre son projet de partir à exécution. Il lui semble obéir à quelqu’un qui décide de tout à sa place.
Quatorze août : ce sentiment d’impuissance s’accroit. Il se sent comme spectateur de sa vie, comme possédé par un autre qui lui dit ce qu’il doit faire et quand le faire. Le narrateur appelle au secours et demande à ce qu’on le sauve de cette souffrance et de cette torture.
Quinze août : le narrateur se compare à sa cousine lorsque cette dernière était sous l’emprise des effets de l’hypnose comme habitée par une âme étrangère, tandis que lui est sous l’emprise d’un être invisible qui le gouverne et dont personne, depuis la nuit des temps, ne soupçonne l’existence. Il aimerait tellement fuir, mais il ne le peut pas.
Seize août : le narrateur réussit à s’échapper de la maison. Il se rend à la bibliothèque de Rouen et au moment d’en repartir, il ordonne, contre son gré, au cocher de rentrer à la maison au lieu de l’emmener à la gare. Il se sent repris par l’être invisible. Il est angoissé et affolé.
Dix-sept août : le narrateur relate un nouveau phénomène. Alors qu’il s’était assoupi tard dans la nuit, il est réveillé par un sentiment bizarre et constate avec surprise qu’une page de son livre, resté ouvert, vient de tourner toute seule, comme si une main invisible feuilletait l’ouvrage. Il réalise alors que l’être invisible s’est installé dans son fauteuil pour lire son livre. Dans un élan de colère et de révolte, il se précipite vers le siège pour attraper l’être invisible. Ce dernier prend peur et s’enfuit. Le narrateur reprend espoir car il lui semble qu’il pourra un jour se libérer de cette emprise.
Dix-huit août : le narrateur décide de se soumettre docilement aux volontés de l’être invisible en attendant de pouvoir agir, un jour.
Dix-neuf août : Ça y est, il a tout compris ! Il a trouvé dans une revue scientifique un article relatant une sorte d’épidémie de folie ayant frappé une région du Brésil. Les habitants se déclaraient comme possédés par des êtres invisibles qui se nourrissaient de leurs vies pendant leur sommeil et qui buvaient de l’eau et du lait. Le narrateur fait alors le lien avec le magnifique trois-mâts brésilien qu’il a salué quelques mois auparavant. Mais bien sûr ! L’être invisible devait être à bord et il a sauté du navire pour prendre possession de sa vie ! Le narrateur, dans son délire, pense que le dessein de cet être supérieur est de prendre possession de la race humaine et que les médecins qui pratiquent le magnétisme ou hypnose jouent en réalité avec cette force dangereuse et mystérieuse. Puis il croit entendre le nom de cet être : le Horla. Malheur à l’Homme, le Horla est là pour faire de lui son serviteur. Mais comme le chien peut se révolter contre son maître, le narrateur déclare que lui aussi il se rebellera contre le Horla. Il se lance alors dans une succession de questionnements et suppositions délirantes sur la nature de cet être supérieur. Lorsqu’il reprend un peu ses esprits, il déclare qu’il tuera le Horla.
Dix-neuf août : Il tente de tendre un piège au Horla pour voir à quoi il ressemble et réussir à le saisir afin de l’anéantir. Il s’installe, dos au miroir de son armoire, et fait semblant d’écrire. Lorsqu’il lui semble sentir la présence du Horla lire par-dessus son épaule, il se retourne brusquement face au miroir, prêt à attraper la présence, et constate avec effroi qu’il ne voit plus son propre reflet dans la glace. Il réalise que ce phénomène est dû à la présence du Horla entre le miroir et lui. L’instant suivant, à la manière d’une brume qui se dissipe, le narrateur voit peu à peu son image se refléter de nouveau dans la glace. Il ressort épouvanté de cette expérience.
Vingt août : il cherche un moyen de tuer le Horla et écarte l’idée de l’empoisonner.
Vingt-et-un août : il commande à un serrurier de Rouen l’installation de persiennes et d’une porte en fer pour sa chambre, comme ceux qui sont installés dans les hôtels particuliers de la capitale pour se prémunir des cambriolages. Le narrateur sait qu’il passe pour un poltron, mais il s’en moque.
Dix septembre : la veille, le serrurier est venu installer les persiennes et la porte en fer dans la chambre. Le soir venu, ayant senti la présence du Horla, le narrateur relate qu’il fait mine de se préparer à aller se coucher, clos les persiennes, verrouille la porte à double tour et ferme la fenêtre au moyen d’un cadenas dont il glisse la clef dans sa poche. Il sent alors que le Horla commence à s’agiter autour de lui, lui ordonnant de rouvrir les issues. Le narrateur ne cède pas aux injonctions du Horla et se glisse subrepticement hors de la chambre sans laisser le temps à ce dernier de le suivre. Il dévale les escaliers qui le mènent au salon situé sous la chambre, renverse les lampes à huile sur le mobilier et les tapis puis met le feu à la pièce avant de quitter la maison, sain et sauf. Caché au fond du jardin, il observe le bâtiment et attend longtemps que les flammes apparaissent. Lorsque le feu jaillit soudain, il entend des cris provenant du dernier étage et réalise avec horreur que ses domestiques sont prisonniers du brasier. Il court chercher de l’aide au village et lorsqu’il revient, la maison n’est plus qu’un immense bûcher dans lequel les domestiques et le Horla sont piégés. Mais le narrateur s’interroge : s’il est certain que les hommes sont morts, qu’en est-il du Horla ? Est-il vraiment possible que ce corps d’esprit, cet être insaisissable, invisible et supérieur en tout, puisse mourir comme un simple homme ? Le narrateur conclut que le Horla ne peut avoir succombé dans l’incendie et que le seul moyen d’en venir à bout est de mettre fin à sa propre vie.
Analyse :
Cette nouvelle se présente, dans sa version dite définitive, sous la forme d’un journal intime. On ignore si le récit constitue l'intégralité d'un journal que le narrateur décide de commencer le huit mai ou si, au contraire, il n'est qu'un extrait d'un journal plus vaste que le narrateur a pour habitude de tenir. Cette question a pour objet de s'interroger sur ce qui a déclenché le processus d'écriture chez le narrateur. En effet, dans l'hypothèse où il décide de commencer à tenir un journal le huit mai, cela pourrait, à la lumière de la suite des évènements, suggérer que l'envie d'écrire lui a été insufflée par l'être invisible. On pourrait voir dans cette soudaine impulsion la toute première manifestation du Horla et le début de son emprise sur le narrateur. Si on émet l'hypothèse que le récit n'est qu'un extrait de journal, on peut s'interroger sur la présence, dans le fil antérieur du journal, d'éléments significatifs permettant de mieux cerner la personnalité du narrateur (peut-être y aurait-on trouvé les prémices d'une maladie mentale). En choisissant de faire débuter le récit à cet endroit, l'auteur permet d'entretenir l'incertitude propre au genre fantastique.
Le récit est raconté à la première personne du singulier et l’histoire se déroule au fur et à mesure que le temps passe. Bien que chronologique, on remarque que le récit est irrégulier, saccadé. Par exemple, on note que le narrateur ne raconte pas jour après jour ce qu’il a vécu durant son voyage au mois de juin. Ce n’est qu’à son retour chez lui, le deux juillet, qu’il évoque son périple le résumant à son excursion au mont Saint-Michel. On observe également que certains jours ne figurent pas dans le récit, mais que le narrateur relate rétroactivement le fil des évènements quelques jours plus tard. Par exemple, il tient son journal le six juillet puis passe au dix juillet. Toutefois, lorsqu’il fait le récit à cette date, le narrateur reprend jour après jour les évènements survenus entre le six et le dix juillet. À l’inverse, le narrateur tient quotidiennement son journal entre le six et le vingt-et-un août. Toutefois, on remarque qu’à l’intérieur même de cette période, le récit est morcelé : les neuf et dix août, il dit qu’il ne se passe rien tandis que le dix-neuf août, il écrit deux fois dans la même journée. L’utilisation du format du journal intime permet de faire vivre l’histoire en temps presque réel. Cette forme de récit favorise l’identification du lecteur au narrateur. Il vit ses moments de panique et d’affolement, ses doutes, ses peurs puis souffle avec lui lorsque survient une période d’accalmie et d’apaisement. Ce rythme saccadé se retrouve également dans la manière de décrire ce que raconte le narrateur. Ainsi, lorsque ce dernier traverse une période apaisée, Maupassant décrit avec détail ce que son personnage voit et ressent, à l’instar du récit de son voyage au mont Saint-Michel. Au contraire, quand le personnage est aux prises de ses peurs et ses angoisses, les phrases sont brèves et inachevées, à l'image du moment où le narrateur entend le nom du Horla. Le lecteur ressent que le narrateur n’a plus aucun recul sur ce qu’il vit. Son récit est de plus en plus décousu tout comme sa raison. Le lecteur finit lui aussi par perdre ses repères et s’interroge sur la réalité de ce qui est raconté : le narrateur est-il fou ou est-il véritablement hanté par un être invisible ? Ce questionnement permanent est entretenu par la subjectivité du récit. C’est celui qui est, peut-être, fou qui raconte les évènements qu’il vit ou croit vivre. La forme du journal intime rappelle aussi au lecteur que le récit est destiné au narrateur lui-même, renforçant l’impression de subjectivité qui anime l’histoire. Cet homme est seul et sa solitude contribue à le faire sombrer. S’il avait été entouré de médecins, d’amis, d’une famille, il aurait peut-être pu confronter ses propres conclusions sur la situation qu’il traversait. La seule personne avec laquelle il échange des idées est le moine du mont Saint-Michel (à ce sujet, on peut penser que le seul intérêt à relater cette visite dans le journal est de pouvoir y consigner cette rencontre). Or ce moine ne fait que confirmer le narrateur dans ses croyances : lui aussi croit qu’il existe d’autres formes d’êtres sur la terre que l’homme ne voit pourtant pas). Tout au long du récit, le narrateur dialogue avec lui-même.
À travers cette nouvelle, Maupassant présente les dernières avancées médicales et scientifiques de son époque notamment sur les troubles psychiatriques. Jusqu’en 1870, la psychologie est une matière étudiée en cours de philosophie. Lorsque Maupassant écrit Le Horla, les questions liées à la psyché humaine viennent tout juste de devenir une matière scientifique à part entière. L’auteur assiste régulièrement aux leçons dispensées par le professeur Charcot, neurologue à la Salpêtrière, aux cours desquelles, par hypnose, ce dernier parvient à déclencher chez ses patientes des crises spectaculaires de ce qui est appelé, à l'époque, l'hystérie. Comme pour bon nombre de ses contemporains, la folie est un thème qui intéresse particulièrement Maupassant. Sa mère souffrait d’une maladie névrotique qui la poussera au suicide, son frère cadet Hervé est mort fou deux ans après la parution du recueil, et enfin, lui-même ayant contacté la syphilis, une dizaine d’années plus tôt, sait que cette terrible maladie l’entraine inexorablement vers la folie. Maupassant exploite également une théorie nouvellement développée par le neurologue Sigmund Freud (le Moi, le Ça et le Surmoi) dans la mise en scène d'un personnage en proie à ce double étrange qui finira même par devenir un double de lui-même. En outre, il faut se souvenir que cette nouvelle est écrite (dans sa première version) un an à peine après la mise au point par Louis Pasteur du vaccin contre la rage et que, dans ses travaux, le chercheur a démontré que l'air est habité de microbes et bactéries invisibles à l'oeil nu.
Le Horla explore la question de la folie en l’abordant par le prisme de la peur irraisonnée que l’homme peut ressentir devant ce qu’il ne comprend pas et ne maîtrise pas. La peur que le narrateur exprime si difficilement provient de sensations étranges et diffuses qu’il ressent. Il n’arrive pas à trouver les mots pour décrire ses impressions de frisson, de froid, de malaise et d’oppression. Il craint quelque chose qui n’est pas visible, pas palpable et pas identifiable. La peur décrite par le narrateur est celle qui constitue pour Maupassant la véritable peur : la peur irraisonnée. Pour l’auteur, « la peur est quelque chose d’effroyable qu’il décrit comme une sensation atroce, une décomposition de l’âme, un spasme affreux de la pensée et du cœur dont le souvenir seul donne des frissons d’angoisse. C’est une sensation telle qu’elle pourrait pousser celui qui la ressent au pire des crimes ». C’est d’ailleurs ce qui arrive au narrateur qui finit par vouloir tuer le Horla.
Cette peur irraisonnée est illustrée par l’angoisse intense que ressent le personnage. Maupassant fait astucieusement monter l’angoisse en ne donnant au lecteur que les éléments qui sont importants pour comprendre l’histoire, justifiant ainsi les ellipses narratives qui parsèment le récit. Tout au début du récit, il y a des jours où il ne se passe rien et le narrateur n’en fait pas état. Puis, au fur et à mesure que le récit s’intensifie, ces journées où il ne se passe rien figurent tout de même dans le fil du journal, mais le narrateur y indique seulement son état d’angoisse sous la forme de quelques mots ou lignes succinctes comme « Pourquoi ? » ou « Rien, mais j‘ai peur ». Maupassant laisse l’imagination du lecteur faire le reste : la peur du narrateur est plus suggérée que décrite. Avec des phrases courtes, l’auteur illustre parfaitement toute l’atroce impuissance de son personnage face à son angoisse. Cette incapacité à identifier ce qui l’effraie permet à l’écrivain de laisser le lecteur dans le doute : le narrateur est-il véritablement victime d’un phénomène surnaturel ou est-il victime d’hallucinations liées à une maladie mentale ? Comme dans tout récit du genre fantastique, tout est fait pour que le lecteur oscille sans cesse entre une explication rationnelle des faits et l’existence d’un phénomène surnaturel. Par exemple, le narrateur trouve dans le somnambulisme une explication à la disparition de l’eau de sa bouteille ou encore il puise dans un article scientifique le témoignage de l’existence d’un être invisible. Et puis, l’instant d’après, il relate des évènements surnaturels dont il affirme avoir la preuve (la tige de rosier coupée, il arrive à effrayer et fuir le Horla, il ne voit plus son propre reflet dans le miroir, etc.). Ainsi assemblées, toutes ces explications alternatives laissent le lecteur perplexe. Certes les cauchemars du narrateur sont épouvantables mais après tout, ce ne sont que des rêves. Lorsqu’il constate la disparition de l’eau de la bouteille, le lecteur accueille l’explication rationnelle du somnambulisme et lorsque le narrateur croit voir la page de son livre tourner, on peut légitimement se dire que c’est une simple hallucination créée par son obsession. Face à ce qui le menace, le narrateur cherche des preuves de l’existence de cet être pour s’en différencier et c’est cette démarche qui, paradoxalement, lui fait encore plus perdre pied. Le narrateur décrit le Horla comme étant à la fois une créature immatérielle (invisible et insaisissable) et un être qui présente une certaine consistance (elle laisse apparaitre une forme dans le reflet du miroir, elle boit, elle touche les objets, etc.) tantôt agressive (elle veut l’étrangler, boire sa vie), tantôt inoffensive (elle lit un livre). Le lecteur peut donc tout autant adhérer à la thèse de l’être surnaturel qu’à celle de la folie, le Horla symbolisant alors la double personnalité du narrateur devenu fou.
L’auteur utilise également la dimension tragique pour restituer l’atmosphère pesante, propre aux récits fantastiques. Est tragique ce qui est relatif au genre de la tragédie, mais également ce qui apparait comme étant effrayant et terrible. Tout au début du récit, le narrateur apparait comme quelqu’un de tout à fait sain d’esprit évoluant dans un environnement charmant et serein. Il semble heureux. Puis assez rapidement, le ton va changer : l’atmosphère agréable du récit devient pesante, amenant le lecteur à comprendre que la fin sera tragique. Plus sa peur grimpe, plus le narrateur perd pied. Plus il sombre, plus une fin tragique se profile. Que les évènements vécus par le narrateur s’expliquent par la présence réelle d’un esprit surnaturel ou par la folie, le lecteur ressent l’atmosphère tragique de la nouvelle. La situation même du narrateur est tragique : lui qui était si serein et heureux au début du récit, ne cesse de s’enfoncer dans l’angoisse atroce que provoque sa peur irraisonnée tout en étant lucide sur sa situation. Il se voit dépérir jour après jour et appelle à l’aide à qui le sauvera. Il s’interroge lucidement sur sa possible folie et se qualifie lui-même d’halluciné raisonnant. Il a conscience qu’il agit parfois contre sa propre volonté à l’instar du moment où voulant fuir à la gare, il ordonne au cocher de retourner à la maison. Le lecteur comprend que tout ce récit amène inéluctablement le narrateur vers une fin tragique. L’obsession angoissée et incontrôlable du narrateur le pousse à tout faire pour tenter de mettre fin à son calvaire en éliminant l’être invisible qui le hante.
Avant d’en arriver à concevoir qu’il doit tuer le Horla, le narrateur personnifie peu à peu cet être invisible : le Horla peut toucher des choses (une bouteille, un livre, une fleur), sentir (une rose), lire (un livre ou ce que le narrateur écrit), boire (l’eau ou le lait). Il finit par avoir un nom et une forme (comme une brume). Il existe donc bel et bien aux yeux du narrateur. Cela lui permet d’envisager de l’éliminer. Mais enfermé dans ce monologue intérieur qui le ronge, il en oublie la réalité du monde qui le rattrape quand il comprend que ses domestiques sont prisonniers de l’incendie. Cette tragédie est d’autant plus grande que le lecteur réalise que le narrateur a peut-être été victime de sa propre imagination, de sa propre folie. On aurait pu imaginer une fin dans laquelle cette tragédie humaine aurait amené le narrateur à la raison. Pourtant, ce n’est pas ce que Maupassant a voulu. Le retour à la réalité du narrateur devant la mort de ses domestiques est de courte durée. Il court chercher des secours avant de replonger dans son épouvantable angoisse qui le déconnecte totalement de ce qui se passe. Aussi tragique que cela soit, le narrateur est entièrement tourné vers lui-même. Cette peur et cette angoisse l’ont coupé du monde qui l’entoure.
Lorsque Maupassant écrit cette nouvelle, il ne souffre pas encore des troubles psychiatriques que la syphilis génère. Au contraire, il est parfaitement lucide et a conscience que Le Horla va amener un flot de soupçons sur son état mental. Pourtant, comme un présage, les dernières années de sa vie seront marquées par des comportements incompréhensibles et des hallucinations autoscopiques dans lesquelles il se voyait lui-même en double.