L’ouvrage de Freud L’Inquiétante étrangeté est frappant par la façon dont il démêle ce que l’auteur postule comme des vérités psychiques universelles sur l’étude de la littérature, en particulier sa lecture d’ E.T.A. Hoffmann. Pour les lecteurs anglophones ou encore de nombreux germanophones, l’appui de Freud sur la littérature, et de Hoffman en particulier, pourrait passer presque inaperçu tout au long de cet essai. Freud, au cours d’une analyse du double, mentionne dans une note de bas de page que " deux âmes habitent dans le sein de l’homme ", se référant à un verset célèbre de J.W. Goethe dans le drame de Faust, un poème que Freud cite souvent. L’Anneau de Polycrate est un poème de Friedrich Schiller, un contemporain de Goethe, souvent considéré comme le Shakespeare allemand (Le Strand Magazine, que Freud mentionne à la fin de l’essai, est peut-être plus familier pour les lecteurs anglophones). Les références à la littérature abondent aussi largement dans les analyses linguistiques. L’analyse linguistique elle-même est tirée du dictionnaire de Grimm, compilé par les frères Grimm qui ont assemblé un recueil de contes de fées. Les auteurs cités sont ceux de la littérature allemande des années 1830 et 40, y compris des poètes romantiques comme Clemens Brentano, ainsi que, pour une grande partie des auteurs réalistes comme Jeremias Gotthelf, Karl Pestalozzi et Berthold Auerbach. Ces auteurs réalistes, ont été les premiers à décrire la vie domestique, ou le heimlich, en détail. De cette façon, l'inquiétante étrangeté n’est pas simplement la recherche d’un effet isolé ; il positionne également Freud comme un commentateur de la tradition littéraire allemande elle-même, mettant en lumière cet effet de l’inquiétante étrangeté, un " noyau affectif ", comme Freud l’appelle, un faisceau d’émotions, resté caché et inexploré, offrant au lecteur un nouveau point de vue à partir duquel considérer les auteurs familiers. De même, Freud efface la distinction entre les grands écrivains et les plus modestes : l’inquiétante étrangeté puise dans un sentiment si primaire qu’il traverse toute la littérature.