Prologue
Un chœur introduit la pièce en présentant le contexte dans lequel se déroule l’histoire. Le chœur explique que deux anciennes familles de Vérone – les Capulet et les Montague – entretiennent une “ rancune ” dont nul ne connaît les raisons. Dès les premiers instants, le public (et les lecteurs) savent que l’intrigue se centre autour de deux personnages issus chacun de l’une de ces familles et qui tombent amoureux – Roméo et Juliette. Leur amour voué à l’échec provoquera à leur suicide. Cet événement tragique poussera les deux familles à mettre fin à leur querelle.
Acte I, scène 1
Deux serviteurs des Capulet, Samson et Grégoire, sont dans la rue et parlent avec colère des Montague. Armés, ils multiplient les plaisanteries grivoises. Ils regrettent que les combats de rue soient interdits et cherchent une raison valable pour provoquer une bagarre.
Abraham et Balthazar, deux serviteurs des Montague, font leur entrée. Samson leur fait signe avec dédain – il mord son pouce. Offensé, Abraham décide de confronter Samson et une bagarre éclate.
Benvolio, le cousin de Roméo, arrive à son tour. Il ordonne à tout le monde de cesser de se battre. Tybalt, le cousin de Juliette, entre dans la rue. En voyant son rival, Tybalt tire également son épée et ravive l'altercation.
Lord Capulet, le patriarche de la famille, les rejoint et veut participer au combat. Cependant, sa femme le retient. Lord Montague arrive peu après, prêt à se battre.
Toutefois, des citoyens armés de bâtons ont averti le Prince Escalus de la bagarre. Celui-ci arrive sur les lieux. Il réprimande les Montague et les Capulet et les accuse de rendre les rues de Vérone dangereuses. Le Prince ordonne à tout le monde de rentrer chez soi et de cesser les hostilités. Il raccompagne les Capulet chez eux.
Les Montague et Benvolio restent sur scène et cherchent Roméo. Benvolio leur apprend que celui-ci est d’une humeur étrange. Lorsque Roméo apparaît enfin, les Montague demandent à Benvolio de découvrir la cause de sa mélancolie.
Après le départ des Montague, Benvolio questionne Roméo, qui lui explique qu'il est épris d'une femme nommée Rosaline, qui compte rester chaste toute sa vie. Cet amour non partagé le rend triste.
Acte I, scène 2
Pâris demande la permission à Lord Capulet de se marier avec Juliette. Lord Capulet insiste pour que Pâris soit patient car Juliette n'a que treize ans. Cependant, il lui accorde la permission de la courtiser pour obtenir son approbation. Lord Capulet suggère à Pâris d'impressionner Juliette lors du bal masqué qu’il organise ce soir-là. Il remet ensuite à son serviteur, Pierre, une liste de de personnes qu’il le charge d’inviter.
Dans la rue, Pierre croise Roméo et Benvolio qui parlent de Rosaline. Pierre ne sait pas lire et leur demande de l’aide pour identifier les noms de la liste d’invités. Découvrant que Rosaline se rend au bal des Capulet, Roméo et Benvolio décident d’y assister. Ils pourront facilement dissimuler leur identité en portant des masques.
Acte I, scène 3
Dans la maison des Capulet, Lady Capulet demande à la Nourrice d'appeler Juliette. Pendant qu'elles attendent l'arrivée de la jeune fille, la Nourrice se lamente sur le fait que Juliette aura bientôt quatorze ans. Lorsqu’elle arrive, la Nourrice raconte une histoire embarrassante sur la façon dont son défunt mari avait fait une blague sexuelle inappropriée sur Juliette quand elle était bébé. Juliette lui demande de cesser de raconter l’anecdote.
Lady Capulet confie à Juliette les intentions de Pâris. Elle le décrit comme un bel homme, le comparant à un livre bien écrit qui ne manque que d'une couverture. Juliette ne promet rien à sa mère mais accepte d'écouter Pâris lors du bal.
Acte I, scène 4
Roméo, Benvolio et leur ami Mercutio se promènent dans les rues pour se rendre au bal des Capulet. Roméo est déprimé à cause de Rosaline. Mercutio essaie de le réconforter en lui racontant une histoire sur la Reine Mab, un personnage fictif qui s'infiltre dans les rêves des dormeurs. Roméo réprimande son ami et lui avoue qu’il a peur de se rendre au bal.
Acte I, scène 5
Lors de la fête, Roméo se morfond dans un coin, loin de la piste de danse. De là, il aperçoit soudain Juliette et en tombe immédiatement amoureux.
Tybalt surprend Roméo en train de demander à un serviteur de Juliette où est cette dernière, et reconnaît sa voix. Cependant, Lord Capulet lui rappelle que le Prince leur a interdit de se battre et lui ordonne de se calmer.
Roméo s'approche de Juliette et touche sa main. Ils bavardent et Juliette accepte que Roméo l’embrasse. Cependant, avant de pouvoir discuter davantage, la Nourrice appelle Juliette pour voir sa mère. Après son départ, Roméo demande à la Nourrice le nom de la jeune fille. Il est choqué d'apprendre qu’il vient de tomber amoureux d’une Capulet.
Alors que la fête touche à sa fin, Juliette interroge la Nourrice sur Roméo. Lorsqu'elle apprend son identité, elle est désespérée de découvrir qu'elle est tombée amoureuse d'un “ ennemi exécré ”.
Analyse
Roméo et Juliette est une des pièces les plus célèbres de Shakespeare en raison de son style protéiforme et de la complexité de ses personnages. La pièce s'écarte souvent de l’intrigue principale, ce qui rend son genre difficile à catégoriser. Toutefois, le lecteur (ou le public) est guidé dès le début de la pièce : Roméo et Juliette commence par un chœur, qui établit l'intrigue et le ton. Ce dispositif n'est pas nouveau chez Shakespeare et reflète la structure du poème d'Arthur Brooke, dont il s'est inspiré pour écrire Roméo et Juliette.
La présence du chœur suggère que Roméo et Juliette est une tragédie, le sonnet d'ouverture annonçant des événements suffisamment désastreux pour justifier cette convention. Cependant, la tragédie dans sa forme la plus stricte repose certains concepts formels. Le plus important est l'idée qu'un individu est vaincu par des forces indépendantes de sa volonté. Les tragédies célèbrent ainsi le plus souvent l’échec de la volonté humaine face au destin divin. Pourtant, les forces en jeu dans Roméo et Juliette sont loin d'être indépendantes de la volonté humaine. Au contraire, l’intrigue repose sur la querelle entretenue par les Montague et les Capulet. Shakespeare montre ainsi dès le début de la pièce que les événements tragiques qu’il s’apprête à décrire ne sont pas dûs à une sorte de destin implacable.
Il est important de noter que Shakespeare voulait que Roméo et Juliette soit reconnu comme une tragédie, même s'il subvertit le genre à bien des égards. Quelques motifs révèlent cette intention. Le premier est celui de la mort. Dans l'Acte I, certains personnages préfigurent leur mort à venir. Après avoir rencontré Roméo, Juliette déclare : “ S'il est marié, mon cercueil pourrait bien être mon lit nuptial. ” . Lorsque Benvolio tente de mettre fin à la bagarre de rue, il remarque : “ rengainez vos épées ; vous ne savez pas ce que vous faites. ”. La formulation de la réplique de Benvolio est une allusion biblique qui évoque l'insistance de Jésus pour que ses apôtres cessent de se battre contre les gardes romains lors de son arrestation. Ce symbolisme préfigure la mort de Juliette, qui survient après sa quasi-résurrection.
La Nourrice fait également deux remarques qui préfigurent la mort de Juliette. Dans l'histoire qu'elle raconte à Lady Capulet, elle évoque la chute de Juliette lorsqu'elle était enfant. Cette histoire évoque le concept médiéval de la roue de la fortune : au cours de la pièce, Juliette s'élève (elle apparaît sur son balcon pour parler à Roméo) et tombe (elle meurt dans le caveau).
Le chœur introduit également certaines sources de tension dramatique qui réapparaissent dans le reste de la pièce, comme l'opposition entre l'ordre et le désordre. Le Prologue est en effet écrit sous la forme d’un sonnet, une forme de poésie très structurée. Cependant, le contenu de ce sonnet – deux familles qui se disputent et provoquent des catastrophes – suggère de la violence et du désordre. Cette opposition reste présente en filigrane dans tout le premier acte. La première scène introduit Samson et Grégoire, deux hommes brutaux qui vont initier une bagarre et y entraîner des représentants deux familles. Le fait que la bagarre se déroule dans la rue et en plein jour crée un sentiment d’insécurité tout au long de la pièce.
Ce thème sous-jacent de l'ordre et du désordre se manifeste également dans l'hybridation des styles employés par Shakespeare. Le chœur établit le fait que l'histoire est censée être tragique mais Shakespeare crée aussi des personnages quasi-comiques, comme Abraham et Grégoire. Tous deux ont un discours léger et multiplient plaisanteries et allusions sexuelles. Ces allusions se transforment toutefois souvent en propos violents, ce qui ne fait que souligner la difficulté de catégoriser les intentions tonales de Shakespeare.
L’habileté stylistique de Shakespeare se manifeste au travers des actions des personnages, qui manifestent leur nature profonde dès le début de la pièce. Dans l’Acte I, Benvolio apparaît comme un pacifiste et Tybalt comme un homme brutal et téméraire. La seconde scène annonce le désir que Lord Capulet éprouve à contrôler sa fille. Tout en prétendant protéger Juliette, il montre également qu’il la considère comme un objet dont il détient la propriété, en donnant à Pâris la permission de la courtiser. L'attitude de Lord Capulet à l'égard de Juliette sera par ailleurs à l'origine de la tournure tragique que prendront les événements.
Le critique littéraire Harold Bloom estime que Juliette, Mercutio et la Nourrice sont les personnages les plus complexes de la pièce. La Nourrice est intrigante en raison de sa duplicité : alors qu'elle prétend se soucier de Juliette, elle souhaite aussi la contrôler. Ses récits révèlent sa fascination pour la jeune fille. Le personnage de la Nourrice, traditionnellement fonctionnel dans les pièces, est ici une figure secondaire complexe.
Shakespeare révèle de nombreux détails sur le caractère de Mercutio au travers du discours qu’il prononce sur la Reine Mab. À première vue, ce discours dépeint Mercutio comme un homme qui préfère la luxure éphémère à l'engagement romantique. Cependant, au fil de son discours, Mercutio fait preuve d'une intensité qui fait défaut à Roméo. La Reine Mab est un personnage plutôt vicieux qui impose la sexualité aux femmes d'une manière très désagréable et violente. Alors qu'il raconte cette histoire, le ton de Mercutio devient si passionné que Roméo doit le faire taire de force. Ce discours indique que Mercutio est un personnage bien plus mature et perspicace que son comportement ne le laisse supposer.
Juliette, quant à elle, est pragmatique. Lorsque sa mère insiste pour qu'elle considère Pâris comme un partenaire potentiel, Juliette n'est manifestement pas intéressée, mais elle comprend qu'un refus catégorique ne lui apportera rien. Elle montre déjà son inventivité en interrogeant la Nourrice sur deux autres hommes avant de demander à voir Roméo, afin de ne pas éveiller de soupçons.
Roméo est un personnage beaucoup moins complexe que Juliette – en effet, dans l'œuvre de Shakespeare, les héroïnes sont souvent plus multidimensionnelles que leurs homologues masculins. Dans l'Acte I, Roméo apparaît comme un jeune homme tourmenté et capricieux. Ses amis sont agacés par sa mélancolie et surpris qu’il oublie Rosaline si rapidement après en avoir tant parlé. Roméo se distingue des autres personnages masculins : il se détache de la violence omniprésente dans la ville et ne recourt ni à la colère, ni à l’agressivité.
Le Prince Escalus et les citoyens qui entrent avec leurs bâtons sont des personnages beaucoup plus simplistes. Ils n'ont qu'un rôle fonctionnel, celui de représenter la loi et l'ordre à Vérone. Si le Prince fait souvent preuve d'une grande autorité – en déclarant illégaux les combats de rue et, plus tard, en bannissant Roméo – , ses décisions ne produisent que des résultats minimes. Dans la pièce, la loi n'est jamais aussi puissante que l'amour. De leur côté, les citoyens, bien que silencieux, font allusion aux tentatives des résidents de Vérone pour se protéger des bagarres. Shakespeare indique régulièrement que les citoyens sont toujours à proximité, ce qui souligne le conflit permanent entre les Capulet et les Montague et les tentatives de la société pour rétablir l'ordre.
Bien que Roméo et Juliette soit devenu un archétype de l'histoire d'amour, il ne reflète en fait qu'un type d'amour très spécifique – un amour jeune, irrationnel, violent.
Même lorsque Roméo convoite Rosaline, il est plus intéressé par sa sexualité que par sa personnalité, et il est contrarié d'apprendre qu'elle a choisi une vie de chasteté. Roméo ressent du désir pour Juliette avant même qu'ils ne se parlent. Shakespeare souligne encore l’attirance sexuelle de Roméo en associant son amour et celui de Juliette à l'obscurité.
L’amour entre Roméo et Juliette n'est pas superficiel. Dans la dernière scène du premier acte, les amants parlent sous la forme d’un sonnet qui invoque l'imagerie des saints et des pèlerins. Les amants ne peuvent être ensemble que lorsqu'ils sont complètement séparés du monde qui les entoure – et ils finiront par s’en retirer du monde. Tous deux croient en la pureté de leur amour.