Un nez ! ... Ah ! messeigneurs, quel nez que ce nez-là ! ...
On ne peut voir passer un pareil nasigère
Sans s’écrier : « Oh ! non, vraiment, il exagère ! »
Puis on sourit, on dit : « Il va l’enlever... » Mais
Monsieur de Bergerac ne l’enlève jamais.
Le nez de Cyrano influence grandement ses pensées, ses actions et ses croyances. Cyrano est très conscient de l'effet qu’il produit sur les gens. Il pense que son nez le rend détestable aux yeux des femmes et compense donc par l’humour. Il utilise l'autodérision pour faire croire aux gens que la taille excessive de son nez ne le dérange pas. En réalité, il est tellement soucieux de son apparence physique que cela prend le pas sur tous ses succès et toutes ses qualités. Son choix de ne poursuivre Roxane qu’à travers Christian est la manifestation la plus visible de la faible estime qu’il a de lui-même.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
Empanaché d’indépendance et de franchise.
Les paroles et les actions de Cyrano contredisent son manque de confiance en lui. Bien que le public soit conscient de la vérité, les autres personnages de la pièce perçoivent Cyrano tel qu'il veut être perçu : audacieux, impétueux, indépendant, et maîtrisant sa propre vie. Cyrano est connu pour se vanter de ses succès et imposer sa vision particulière de la vie aux autres. Sa personnalité extravagante ajoute une touche d'humour à la pièce, mais ce vers de Rostand est également significatif car il fait allusion au panache blanc disputé par De Guiche et Cyrano à Arras... Cela fait aussi écho au fameux dernier mot de Cyrano.
Dire ainsi mes vers me donne un plaisir double,
Puisque je satisfais un doux faible que j’ai
Tout en laissant manger ceux qui n’ont pas mangé.
Ragueneau est un personnage comique qui fournit beaucoup de moments drôles, mais il est parfois aussi honnête et sérieux, comme dans ce vers, dans lequel il admet qu’il manque parfois de compagnie. Il reconnaît que les poètes qui visitent sa boutique ne sont là que pour la nourriture gratuite, mais cela ne le dérange pas car il apprécie leur présence et la possibilité de leur lire ses propres vers. C’est la poésie qui permet à Ragueneau d’avancer, et non les nombreux métiers qu’il exerce successivement. C’est un trait de caractère qu’il partage avec Cyrano, pour qui la poésie représente bien plus que de simples mots.
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît.
L’indépendance de Cyrano est l’une des choses dont il se vante le plus. Il la chérit profondément et s’y dédie de façon presque religieuse.
Il n’aime pas qu’on lui donne des ordres ou qu’on lui dise comment faire, préfère travailler seul et ne craint pas de vivre dans la pauvreté ou l'inconfort, du moment qu'il peut être autonome. Cependant, cette indépendance a un coût. Son ami Le Bret lui a fait remarquer qu'il devrait être moins exigeant envers les autres pour mener une vie plus douce. En outre, cette indépendance sert peut-être à compenser son manque de confiance quant à son apparence et ses compétences. Bien qu'il soit évident qu'il souhaite être avec une femme, en particulier Roxane, il feint un amour profond pour son indépendance plutôt que d'accepter les risques associés à l'amour.
Faisons à nous deux un héros de roman !
Ce court commentaire de Cyrano résume l’intrigue principale de la pièce. Les deux hommes aiment Roxane, mais ils ne peuvent pas réussir seuls à la charmer. Ils doivent plutôt travailler ensemble et former une figure hybride pour séduire Roxane. Ce “héros de roman” est au début un franc succès, mais devient rapidement problématique. Cyrano est déprimé car l’amour de Roxane ne lui est pas destiné, tandis que Christian se lasse de la ruse utilisée pour la conquérir. Roxane est trompée et finit par perdre deux amants plutôt qu'un. Le message de la pièce est donc que rester fidèle à soi-même peut être difficile, mais que c’est finalement plus satisfaisant et noble.
Il ne peut exister à mon goût
Plus fin diseur de ces jolis rien qui sont tout.
Cette phrase représente tout d’abord le fait que Roxane succombe à la supercherie de Christian et Cyrano : elle est tombée amoureuse du premier grâce aux mots du second. Ensuite, elle fait référence à la force de la poésie en règle générale. La poésie, acte de création, transforme les pensées en vers. Rostand insiste plusieurs fois sur le pouvoir des mots au cours de la pièce.
Mais ce soir, il me semble...Que je vais vous parler pour la première fois !
Cyrano est un homme indépendant, sûr de lui, impulsif, qui adore utiliser critiquer, flatter, ridiculiser, défendre et blesser. Les mots sont ses munitions. Il lui arrive pourtant de ne pas pouvoir utiliser les mots à sa guise : ses mots pour Roxane sont prononcés par quelqu’un d’autre que lui, ou chuchotés à l’abri de la nuit. Dans cette célèbre scène, il arrive enfin à utiliser les mots qu'il souhaite et à les déclamer directement à la femme qu'il aime. Cependant, le résultat est doux-amer car il ne révèle pas réellement son identité. Les mots semblent donc un peu entachés par le subterfuge qu’il a mis en place, bien qu’en réalité ils soient romantiques, sincères et touchants.
Eh quoi ! la précieuse était une héroïne.
Cyrano félicite Roxane d'avoir rendu visite à Christian sur le front et d'avoir apporté de la nourriture aux soldats fatigués. Bien que cette action soit louable, Cyrano est légèrement frustré par l'attitude "héroïque" de Roxane, car elle manque clairement de perspicacité, de sagesse et de lucidité en ce qui concerne sa situation amoureuse. Elle apparaît frivole, superficielle et inconsciente, étant tombée amoureuse de Christian sans même lui parler, exigeant de lui qu'il ne lui parle que d’amour, et finissant par se fourvoyer complètement sur la situation. Cependant, tout a été fait pour qu’elle se trompe, et sa situation peut donc être pardonnable.
Tout ce que j’ai prédit : l’abandon, la misère !...
Ses épîtres lui font des ennemis nouveaux !
Il attaque les faux nobles, les faux dévots,
Les faux braves, les plagiaires, - tout le monde.
Les dernières années de la vie de Cyrano sont une période difficile pour lui. Il est accablé par le fait qu'il ne peut pas révéler ses vrais sentiments à Roxane et par les événements du siège d'Arras. Il se rend compte que son talent d'écriture n’a pas tant servi une cause noble qu’une entreprise mesquine. Il est pauvre et a de nombreux ennemis, ce qui préoccupe légitimement son ami Le Bret. Cependant, Cyrano a choisi de vivre sa vie comme il le souhaitait. Il aurait pu avoir un riche mécène qui aurait dicté ce qu'il écrivait et faisait, mais il a préféré être pauvre et avoir la liberté de dire ce qu'il veut, même s'il doit surveiller ses arrières pour y parvenir. C'est un compromis dont il est parfaitement satisfait, même si cela contribue à sa mort prématurée.
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J’emporte malgré vous,
Et c’est…Mon panache.
Les dernières lignes de Cyrano de Bergerac sont devenues célèbres car elles illustrent ce qui rend le personnage si mémorable : son énergie, son audace, son indépendance, son arrogance et son style. Malgré les difficultés qu'il a pu rencontrer, notamment avec Roxane et De Guiche, Cyrano est toujours resté fidèle à lui-même. Le terme " panache " est devenu célèbre grâce à cette pièce, car il signifiait à l'origine une plume sur un casque, mais il est depuis associé au style unique de Cyrano et à ses fanfaronnades.