Surveiller et punir

Surveiller et punir Résumé et Analyse

La deuxième partie de Surveiller et punir, intitulée “Punition”, entre dans le détail historique de la transformation évoquée dans la partie précédente, qui s'étend de 1750 à 1850 environ. Foucault décrit tout d’abord la multiplication de pétitions, à la fin du XVIIIème siècle, contre la torture et les exécutions publiques. Ces spectacles sont devenus “dangereux de toute façon, par l'appui qu'y trouvent, l'une contre l'autre, la violence du roi et celle du peuple.”. L’exécution symbolise en effet la violence souveraine et le contrôle du monarque sur la vie et la mort. Mais si elle se heurte à la colère du peuple, l’exécution devient le symbole de l’illégitimité du pouvoir monarchique.

Foucault décrit également la transformation de la perception du crime non comme une seule atteinte envers le monarque, mais comme une offense envers la société dans son ensemble. Ce changement de perception s'explique en grande partie par l'augmentation des crimes contre la propriété. La multiplication des atteintes à la propriété privée est rendue possible par l’avènement d’une société capitaliste, dans laquelle la terre appartient à des individus et non plus au monarque. Les citoyens privés veulent protéger leur propriété et sont particulièrement préoccupés par les crimes qui portent atteinte à la valeur qu'ils accordent à leurs possessions.

On assiste donc à un double mouvement de la criminalité et de la répression au tournant du XIXème siècle. D’une part, les atteintes aux personnes diminuent et les atteintes à la propriété augmentent. D’autre part, la sanction du crime est moins violente et ne vise plus uniquement à faire souffrir le criminel. La punition doit prendre en compte la volonté du peuple. Ces transformations entraînent une réforme complète du système pénal dont l’objectif est de discipliner la société plus que de punir les affronts faits au roi.

L’évolution du but de la sanction pénale redéfinit le crime lui-même. En volant, l’individu ne porte pas seulement atteinte à la propriété privée d’une personne déterminée, mais blesse la société dans son ensemble. Le voleur transgresse un contrat que tous les membres de la société ont implicitement signé. Il trahit les normes sociales. La société doit donc créer un système dans lequel ces normes sont appliquées, dans lequel elles sont si puissantes qu’elles limitent, par leur seule existence, les comportements déviants.

C'est là qu'intervient ce que Foucault appelle la “douceur des peines”. La première règle, celle de la “quantité minimale”, est le principe selon lequel la punition doit être porteuse de risques qui dépassent les bénéfices espérés du crime. La seconde, que Foucault nomme “règle de l'idéalité suffisante”, signifie que la punition n’est pas cantonnée au corps de l’individu mais vise un idéal. La prison est ainsi frappée d’un stigma moral. La troisième règle, celle des “effets latéraux”, implique que la punition ne doit pas seulement affecter le criminel. La punition infligée doit dissuader les autres individus de commettre ce crime. La quatrième règle est celle de la “certitude parfaite”. Elle requiert que les lois soient précises et publiques. Ainsi, tout individu peut connaître la peine encourue pour un crime. La cinquième règle, celle de la “règle de la vérité commune”, porte sur le caractère scientifique du procès : celui-ci doit prouver rigoureusement la commission du crime, afin que la justice apparaisse comme une science précise plutôt que comme le caprice arbitraire du monarque. La dernière règle est celle de la “spécification optimale”, selon laquelle le code pénal doit détailler spécifiquement quels comportements sont incriminés.

La prison est l’institution idéale pour mettre en œuvre ces principes car elle permet de moduler les peines proportionnellement au crime commis. Elle revêt par ailleurs une forte dimension expressive en ce qu’elle sépare le criminel du reste de la société. Dans une société où la propriété et la liberté sont les droits suprêmes de tout individu, la prison est une punition ultime.

Foucault souligne que l’évolution de la punition poursuit des objectifs plus économiques qu’humanitaires. Les individus ne s’opposent pas tant à la torture pour des raisons morales que pour protéger leurs biens et leur autonomie vis-à-vis du roi. Lorsqu’ils réalisent que la torture n’est pas une sanction efficace pour assurer une telle protection, ils réfléchissent à de nouveaux types de châtiments qui façonnent la société en y créant des normes impératives.

Analyse

Le passage de la torture à l'emprisonnement est sous-tendu par des transformations plus importantes dans les sociétés occidentales. La première est la transition de la monarchie absolue à la démocratie. Le changement de la source du pouvoir implique une reconceptualisation de la punition, qui représente l'exercice du pouvoir par le peuple. L’étude de la prison est aussi plus largement celle de l'essor de la démocratie, lié au concept de liberté personnelle. Dans une démocratie, chaque individu dispose de droits et libertés qui le protègent contre l’arbitraire du dirigeant. La perte de ces droits et libertés est la pire des sanctions. La prison est une punition efficace car elle vise cette attribution précieuse : la liberté personnelle.

L'autre grande transformation que Foucault décrit en arrière-plan de son analyse est le passage du féodalisme au capitalisme. Dans l'Europe médiévale, la nation appartient au roi, qui délègue des terres aux nobles, lesquels emploient à leur tour des paysans pour l’entretenir. L'économie est structurée de manière hiérarchique. Dans un système capitaliste, les individus échangent entre eux sans l’intermédiaire d’une autorité régulatrice. Le pouvoir ne s’exerce ainsi plus uniquement verticalement entre le monarque et ses sujets, mais entre les individus eux-mêmes.

Foucault souligne qu’aucune de ces transformations n'est consciente ou planifiée. Ces changements se développent au fil du temps en dehors de toute conscience individuelle. L’étude du discours permet de discerner des évolutions spontanées, à mesure qu'émergent de nouvelles idées symptomatiques d'un changement sous-jacent dans la nature du pouvoir. Foucault s’intéresse ainsi à un type d'histoire impersonnelle, qui a trait à la nature changeante du pouvoir ou des structures sociales, sans figure individuelle. C'est précisément parce que ces structures sont impersonnelles qu'elles sont si puissantes.