Dans le chapitre IV, Machiavel classifie les gouvernements en deux types : ceux dans lesquels il n’y a qu’un dirigeant (comme la Turquie de Darius) et ceux dans lesquels le pouvoir est partagé entre un dirigeant et certains nobles (comme la France). Cette classification permet à Machiavel de développer l’argument selon lequel le premier type d’État est difficile à conquérir mais facile à administrer ; le second est facile à conquérir mais difficile à administrer.
Dans le chapitre V, Machiavel aborde la question de l’administration des territoires conquis. Que doit faire un dirigeant unique qui conquis un territoire dans lequel le pouvoir était auparavant partagé ? L’auteur propose trois options pour le dirigeant conquérant : détruire le régime en place, y vivre, ou mettre en place un gouvernement fantoche. Machiavel semble favoriser la première option. Il donne l’exemples des Spartiates – qui ont établi des oligarchies à Athènes et à Thèbes et les ont toutes deux perdues – puis des Romains – qui ont détruit Capoue, Carthage et Numance et ont ensuite exercé leur puissance sans partage : " quiconque ayant conquis un État accoutumé à vivre libre, ne le détruit point, doit s'attendre à en être détruit. ”.
Dans le chapitre VI, “ Des principautés nouvelles acquises par les armes et par l'habileté de l'acquéreur ”, Machiavel fait une digression momentanée pour expliquer pourquoi il s'appuie sur autant d’exemples dans Le Prince : il considère que de bons dirigeants “ doivent donc prendre pour guides et pour modèles les plus grands personnages, afin que, même en ne s'élevant pas au même degré de grandeur et de gloire, ils puissent en reproduire au moins le parfum. ”. Selon lui, les dirigeants les plus remarquables sont ceux qui ont obtenu le pouvoir par leur propre force, comme Moïse, Cyrus, Romulus et Thésée. Ce sont pour lui des géants du passé et des modèles à suivre pour les dirigeants présents et futurs : “ Le bonheur de ces grands hommes naquit donc des occasions ; mais ce fut par leur habileté qu'ils surent les connaître et les mettre à profit pour la grande prospérité et la gloire de leur patrie. ”. Selon Machiavel, obtenir une position de pouvoir sans soutien est une tâche ardue ; mais une fois obtenue, le dirigeant qui s'est élevé par ses propres mérites et par sa propre force maintiendra beaucoup plus facilement sa position.
Dans le chapitre VII, Machiavel soutient que les territoires acquis soit par la fortune – c’est-à-dire le hasard – , soit grâce à une assistance extérieure sont faciles à conquérir ; la difficulté réside dans la conservation du pouvoir. Machiavel se concentre sur un seul exemple : l'histoire de Cesare Borgia, également connu sous le nom de duc Valentino, fils du pape Alexandre VI.
Alexandre VI voulait donner à son fils un État à gouverner, mais il pouvait uniquement lui confier l’administration des États pontificaux, ce que ni le duc de Milan ni les Vénitiens n'auraient accepté. Le pape a donc utilisé ses liens avec Louis XII pour obtenir le contrôle de la Romagne pour son fils.
Cesare Borgia ne pouvait faire confiance ni à son armée, composée de membres du clan Orsini (une faction puissante prête à le trahir), ni au roi Louis, qu’il soupçonnait de trahison. Borgia décida de ne plus compter sur leur soutien et de recruter pour sa propre cause tous les partisans Orsini et Colonna de rang noble à Rome. La ville d'Urbino, un bastion Orsini, se rebella en conséquence. Borgia réprima rapidement la révolte. Les Orsini tentèrent alors de se réconcilier avec lui. Borgia en profita pour attirer leurs dirigeants à Sinigaglia et les tuer tous.
Borgia possédait désormais pleinement la Romagne, un territoire miné par la criminalité et le désordre. Il nomma Ramiro d’Orco, un homme cruel et impitoyable, lieutenant général de la région, pour neutraliser et soumettre la Romagne. Puis, afin d'apaiser la haine que les méthodes d’Orco avait suscitées, Borgia le fit juger et exécuter, faisant croire que la cruauté avait été le fait de son lieutenant général et non de lui-même.
Peu après, Alexandre VI mourut et Cesare Borgia tomba malade. Il permit à Jules II de devenir pape. Machiavel soutient qu'il aurait dû essayer de faire élire un Espagnol ou un Rouennais pape. Jules II avait des raisons de haïr et de craindre Cesare Borgia : il avait été exilé dix ans en France et nourrissait une grande rancune contre la famille Borgia. Pour Machiavel, Cesare Borgia est un exemple de dirigeant qui a stratégiquement bien agi mais qui a finalement manqué de chance.
Analyse
À partir de l'histoire de Cesare Borgia, l’auteur construit une narration assez émouvante. Machiavel, en particulier dans ses œuvres ultérieures, voulait être considéré comme un historien. Il montre ici sa tendance à transformer la confusion de l'histoire en une grande fiction, pour tirer d’évènements complexes ou anodins des conclusions plus larges.
Machiavel présente Cesare Borgia comme un contemporain de personnages légendaires : Moïse, Cyrus, Romulus, Thésée. Alors que ces figures antiques existent dans des récits mythifiés, Borgia est, pour Machiavel, un dirigeant contemporain qui ne peut pas espérer être à la hauteur de ces légendes. C'est un homme imparfait, courageux et intelligent. Machiavel considère que Borgia a manqué de chance, mais il le tient en partie responsable de son sort, puisqu’il n’a pas empêché l’ascension de Jules II : “ La seule chose qu'on ait à reprendre dans sa conduite, c'est la nomination de Jules II, qui fut un choix funeste pour lui. Puisqu'il ne pouvait pas, comme je l'ai dit, faire élire pape qui il voulait, mais empêcher qu'on n'élût qui il ne voulait pas, il ne devait jamais consentir qu'on élevât à la papauté quelqu'un des cardinaux qu'il avait offensés. ”.
Il est intéressant de noter dans quelle mesure Machiavel dénonce ou excuse certaines figures historiques. On ressent une certaine proximité entre lui et Borgia, une certaine connexion personnelle : “ En résumant donc toute la conduite du duc, non seulement je n'y trouve rien à critiquer, mais il me semble qu'on peut la proposer pour modèle à tous ceux qui sont parvenus au pouvoir souverain par la faveur de la fortune et par les armes d'autrui. ”.
L'histoire est, en effet, intrinsèquement subjective. Le tempérament et les affinités de l'historien dictent la forme que prend l'histoire elle-même. L’œuvre de Machiavel est très personnelle : il débute son ouvrage par une lettre à Lorenzo de Médicis, il décrit la vie de Borgia avec une affection notoire et écrit à la première personne. L'écriture de Machiavel n'est donc pas l'œuvre d'un auteur anonyme mais plutôt une sorte d'histoire personnelle qui propose une méditation sur les travers de la nature humaine et leurs effets sociétaux. En d'autres termes, Le Prince est une œuvre de philosophie, une réflexion qui personnifie l'impersonnel.
Pour ces raisons, certaines incohérences ou omissions historiques peuvent être identifiées dans l’ouvrage. En présentant la France comme ennemie majeure des Romains, Machiavel exagère la rébellion de la Gaule une fois conquise par l’Empire romain et semble assimiler la France pré-Capétienne à la nation post-Capétienne, confondant centralisation et diffusion du pouvoir. Toutefois, Machiavel n'a pas tendance à être inexact. Sa décision de ne pas aborder certains détails historiques peut être interprétée comme un choix pragmatique de ne pas diluer son propos principal.