Dans le chapitre X, intitulé " Comment, dans toute espèce de principauté, on doit mesurer ses forces ”, Machiavel adopte un ton résolument militaire. Il considère que la puissance militaire est un atout clé du pouvoir, citant comme exemple Cesare Borgia. Machiavel s'adresse principalement aux souverains dont la place est menacée : " eux qui n'ont point les moyens de se mettre en campagne contre l'ennemi, et qui sont obligés de se réfugier dans l'enceinte de leurs murailles et de s'y défendre. ”. Il considère que ces souverains devraient protéger et défendre les villes aux dépens des zones rurales, tout en veillant à ne pas attiser la colère du peuple. Un dirigeant prudent, selon Machiavel, est capable de conserver la loyauté de ses sujets et de maintenir leur moral lors d'un siège. Le siège d’une ville est souvent plus complexe pour l’assaillant, qui ne peut pas se permettre de tenir ses positions longtemps. La meilleure défense consiste donc à ralentir l'assaillant et à l'épuiser. Machiavel cite les villes d'Allemagne comme exemples de fortifications efficaces. Ces villes sont protégées par des douves et des murailles, et sont dotées d’une " artillerie suffisante ”. Elles disposent d'entrepôts de nourriture, de boissons et de combustible ainsi que de réserves de matières premières pour permettre à la population de survivre et à l’économie de se maintenir pendant un siège.
Le chapitre XI traite des États pontificaux. Les entités religieuses sont, en général, faciles à administrer ; elles n'ont guère besoin d'être défendues ou gouvernées. Cependant, l'Église a eu du mal à sécuriser son pouvoir en Italie, notamment car les papes avaient une espérance de vie faible et que leur temps de règne était trop court pour permettre un changement durable. Rome était par ailleurs divisée entre des factions hostiles, comme les familles Orsini et Colonna. À l’époque où il écrit, Machiavel note que la papauté a imposé le respect de son autorité à l’ensemble des territoires européens occidentaux, a chassé Louis XII d'Italie et " ruin[é] les Vénitiens ”.
Machiavel considère que le pape Alexandre VI est à l’origine d’un tel processus. Il a stratégiquement utilisé Cesare Borgia pour renforcer son propre pouvoir. Ses décisions intéressées en faveur de son fils ont permis d’unifier et de pacifier Rome. Le pape Jules II a poursuivi les efforts d'Alexandre VI. Il a conquis Bologne, battu les Vénitiens, chassé les Français d'Italie et maintenu les Orsini et les Colonna dans une position de soumission. Machiavel conclut son chapitre en mentionnant le pape actuel, Léon : “ Voilà donc comment il est arrivé que le pape Léon X a trouvé la papauté toute-puissante ; et l'on doit espérer que si ses prédécesseurs l'ont agrandie par les armes, il la rendra encore par sa bonté, et par toutes ses autres vertus, beaucoup plus grande et plus vénérable.
Analyse
Le pape Léon était un Médicis, et le compliment de Machiavel à son égard est à moitié sincère ; il semble à peine dissimuler son mépris pour l'Église. Machiavel est souvent qualifié d'humaniste " séculier ” : il souligne le libre arbitre de l’être humain (notamment des souverains) et l’importance des choix individuels dans le destin d’un royaume, rejetant implicitement toute notion de monde divin. Le Prince a toutefois été écrit pour un Médicis ; Machiavel devait donc veiller à ne parler du pape Léon qu’en des termes élogieux. Cependant, contrairement aux autres dirigeants qu’il cite, Machiavel ne mentionne pas les talents du pape et se concentre plutôt sur la grandeur des prédécesseurs que sur celle du pape lui-même.
L’enchaînement de ces deux chapitres est assez surprenant : Machiavel parle de la nécessaire défense des villes, avant de démontrer que les États pontificaux n’ont pas besoin de telles défenses : “ Ces princes seuls ont des États, et ils ne les défendent point ; ils ont des sujets, et ils ne les gouvernent point. Cependant leurs États, quoique non défendus, ne leur sont pas enlevés ; et leurs sujets, quoique non gouvernés, ne s'en mettent point en peine, et ne désirent ni ne peuvent se détacher d'eux. ”. Machiavel considère que ces “ principautés (...) exemptes de péril et heureuses ” ne suscitent d’intérêt pour son analyse : " Mais, comme cela tient à des causes supérieures, auxquelles l'esprit humain ne peut s'élever, je n'en parlerai point. C'est Dieu qui les élève et les maintient ; et l'homme qui entreprendrait d'en discourir serait coupable de présomption et de témérité. ”.
Machiavel établit une distinction claire entre ce que les individus peuvent contrôler et ce qu'ils ne peuvent pas – un sujet qu'il aborde plus en détail plus tard dans l’ouvrage. Il affirme ici que les sujets des principautés ecclésiastiques ne peuvent pas se révolter. Machiavel semble implicitement accepter que l'Église – et au-delà d’elle, Dieu – ait institué ces États, qui sont au-delà des conflits et de l’analyse politique. Cependant, son historiographie des stratégies des anciens papes remet en question une telle vision. La position de Machiavel est difficile à analyser : il a pu préférer ne pas s’opposer ouvertement à l’Église et donc refuser d’étudier les États pontificaux. Il pourrait aussi avoir décidé de ne pas se spécialiser sur ce sujet.
L’ouvrage aborde aussi un thème prédominant de la Renaissance : la raison. Machiavel se réfère continuellement au " prince prudent ” ; il décrit les choix auxquels est confronté un dirigeant et aborde ses décisions comme des choix scientifiques. Il compare ainsi les stratèges militaires aux médecins traitant une maladie avant qu'elle n'ait le temps de se développer et de s'aggraver. Pour Machiavel, le pouvoir peut être acquis purement par les facultés de l'esprit. Les outils de défense qu’il a énumérés – fortifications, munitions, armées, etc. – ne sont pas utiles sans un usage de la raison qui permette de déterminer quel type d'armée utiliser et quelles alliances créer. Lorsque Machiavel écrit que la raison humaine ne peut pas atteindre un certain État ou royaume, il critique implicitement l’État lui-même.
Ces pistes d’analyse sont étayées par d'autres écrits de Machiavel. Dans ses célèbres Discours, Machiavel critique le rôle politique de l'Église, considérant que si la religion chrétienne avait été maintenue selon ses principes originels, les États chrétiens seraient beaucoup plus unis et heureux qu'ils ne le sont en réalité. Il considère que même si la religion a une place importante dans la société, l'Église abuse de son statut, empêchant de fait l’unification de l’Italie.