Dans le chapitre XX – " Si les forteresses, et plusieurs autres choses que font souvent les princes, leur sont utiles ou nuisibles ” – , Machiavel étudie les différentes stratégies dont dispose un souverain pour administrer un État et discute de l’utilité des divers modes de gouvernement. Il considère qu’un dirigeant arrivant au pouvoir devrait armer ses sujets pour instiller la loyauté, tandis qu’un souverain qui vient de conquérir un territoire devrait en désarmer les citoyens afin que toutes les armes soient entre les mains de ses soldats.
Machiavel s'oppose à l'adage selon lequel encourager le factionnalisme (diviser et affaiblir le peuple) est un bon moyen de conserver le pouvoir. Il considère que cette tactique rend un État plus facile à conquérir. Par ailleurs, une telle stratégie de division peut provoquer un effondrement interne de l’État, comme cela s'est produit à Venise.
Machiavel approuve la mise en place délibérée d'obstacles au pouvoir du souverain, considérant que si ce dernier les surmonte, sa réputation en sera améliorée : " C'est pourquoi plusieurs personnes ont pensé qu'un prince sage doit, s'il le peut, entretenir avec adresse quelque inimitié, pour qu'en la surmontant il accroisse sa propre grandeur. ”. Machiavel soutient que ceux qui semblent suspects au premier abord sont souvent ceux qui se révèlent être les plus dignes de confiance, et réciproquement. En effet, les premiers sentent qu'ils doivent gagner la faveur du prince, tandis que les seconds se sentent trop en sécurité dans leur position. Dans un État nouvellement conquis, " il est beaucoup plus facile au prince nouveau de gagner ceux qui d'abord furent ses ennemis, parce qu'ils étaient satisfaits de l'ancien état des choses, que ceux qui se firent ses amis et le favorisèrent, parce qu'ils étaient mécontents. ”. Il considère ainsi que la meilleure stratégie de défense est le soutien du peuple.
Le chapitre XXI, " Comment doit se conduire un prince pour acquérir de la réputation ”, développe l’exemple précédemment abordé du roi Ferdinand d'Espagne. Ferdinand a acquis sa réputation grâce à ses conquêtes militaires, en attaquant Grenade dont il a expulsé les Maures, puis l’Italie et la France. Ces campagnes successives ont détourné l'attention de ses machinations internes, comme l’unification de l'Aragon et de la Castille. Machiavel qualifie le comportement de Ferdinand de méprisable tout en soutenant que sa stratégie a fonctionné.
Pour Machiavel, un souverain doit toujours se positionner en cas de conflit avoisinant son État. La neutralité n'est pas la voie à suivre : si l’État voisin neutre est puissant, le vainqueur entretiendra un certain ressentiment envers lui car il aurait pu l’aider dans le conflit ; si l’État voisin neutre est faible, prendre parti pour le vainqueur rendra ce dernier redevable une fois la guerre terminée.
Au sein du territoire de l’État, le souverain doit récompenser les talents et les efforts de ses sujets. Il doit encourager leur travail et ne pas confisquer leurs biens. Le souverain doit aussi s’assurer du divertissement du peuple en organisant des fêtes et des spectacles, tout en montrant qu'il est attentif aux besoins de ses sujets.
Le chapitre XXII, " Des secrétaires des princes ”, soutient une théorie plus simple : il est crucial pour un souverain de choisir de bons ministres, car ces derniers sont la réflection du souverain lui-même. Un bon ministre pense uniquement à ce qui est bon pour le souverain. Le souverain, en retour, peut s’assurer de la loyauté et de l’obéissance de ses ministres en les respectant.
Dans le chapitre XXIII, " Comment on doit fuir les flatteurs ”, Machiavel considère qu’un souverain ne peut accepter que les conseils qu’il a auparavant sollicités. Les conseils non sollicités ne sont jamais les bienvenus. Le souverain doit s’entourer de personnes sages à qui il donne “ mais à eux seuls, liberté entière de lui dire la vérité ”. Il est censé être curieux, ouvert d’esprit, chercher de nouvelles opinions et rester à l’écoute de ses conseillers.
Les trois derniers chapitres du Prince font allusion à la vision idéalisée de Machiavel : celle d’une Italie unifiée et forte, d’une nation unique épanouie au-delà de ses divisions et dominant la scène mondiale.
Machiavel considère que la paresse est le problème essentiel des dirigeants des États-cités italiens. Les dirigeants n'ont pas entretenu leurs armées, pensant que la paix était assurée, " semblables en cela au commun des hommes qui, durant le calme, ne s'inquiètent point de la tempête ”.
Dans le deuxième de ces trois derniers chapitres, Machiavel aborde la place du hasard et de son impact sur les affaires politiques. L'Italie est en difficulté par manque de chance, mais aussi parce que ses dirigeants ne se sont pas suffisamment protégés de la malchance : " j’imagine qu'il peut être vrai que la fortune dispose de la moitié de nos actions, mais qu'elle en laisse à peu près l'autre moitié en notre pouvoir. ”.
Machiavel s'adresse ensuite directement à Lorenzo de Médicis, comme dans la lettre préliminaire du livre, argumentant qu'il pourrait être celui qui unifie l'Italie. Machiavel demande à Lorenzo d’étudier l’histoire et d’entretenir ses troupes : " Ne laissons donc point échapper l'occasion présente. Que l'Italie, après une si longue attente, voie enfin paraître son libérateur ! ”.
Machiavel conclut l’ouvrage par un vers de Pétrarque : “ Vaillance contre fureur / Prendra les armes ; et le combat sera bref ; / Car l'antique valeur / Dans les cœurs italiques n'est pas encore morte. ”.
Analyse
Ces derniers chapitres mettent en évidence la vision complexe que Machiavel a de la nature humaine. Dans le chapitre XXI, il écrit : “ les hommes ne sont jamais tellement dépourvus de tout sentiment d'honneur, qu'ils veuillent accabler ceux avec qui ils ont de tels rapports, et donner ainsi l'exemple de la plus noire ingratitude. D'ailleurs, les victoires ne sont jamais si complètes que le vainqueur puisse se croire affranchi de tout égard, et surtout de toute justice. ”. Il affirmait pourtant, quelques chapitres plus tôt, que les humains étaient intrinsèquement hypocrites et malhonnêtes. Son plaidoyer en faveur de la justice contraste aussi avec l’éloge qu’il fait des méthodes utiles, y compris de la torture, pour atteindre un objectif politique. Machiavel propose, dans Le Prince, une réflexion presque antithétique sur la nature humaine et la politique, traduisant la complexité des comportements humains et des structures sociales. Il en conclut toutefois que la modération est la voie à suivre.
Les apparentes contradictions qui émaillent Le Prince sont révélatrices d'un esprit en constante réflexion. L’ouvrage est écrit comme si Machiavel nous confiait ses pensées de manière linéaire, nous faisant réfléchir à ses côtés. Il s'agit d'un livre décousu, plein d’ellipses, de retours en arrière et d’impasses, qui cherche à offrir une vision de l'humain en tant qu'animal politique, avide de pouvoir mais déstabilisé par ses propres impulsions contraires. Machiavel propose une étude presque psychologique, qui met en évidence les contradictions relatives à la gouvernance dans le but de parvenir à une certaine synthèse.
En effet, l'individu en tant qu'agent de son propre destin est un thème central chez Machiavel. Dans son chapitre sur la chance, il écrit “ qu'un prince qui s'appuie entièrement sur la fortune tombe à mesure qu'elle varie. ”. Le souverain doit gouverner avec “ circonspection et patience ”. Comme dans le reste de l’ouvrage, il s’agit ici de chercher un équilibre entre individualisme absolu et adaptabilité au contexte socio-politique. La chance joue un rôle important en politique mais elle ne rend pas toute décision humaine obsolète.
Machiavel invoque la capacité de l’individu à introduire le changement et à façonner son époque, considérant qu'il " qu'il vaut mieux être impétueux que circonspect ; car la fortune est femme : pour la tenir soumise, il faut la traiter avec rudesse ; elle cède plutôt aux hommes qui usent de violence qu'à ceux qui agissent froidement ”. Cette affirmation suppose que le destin peut être maîtrisé, ce qui était loin d'être une croyance majoritaire à l'époque de Machiavel. Celui-ci prône la prudence et le calcul, mais aussi la brutalité : “ [la Fortune est] toujours amie des jeunes gens, qui sont moins réservés, plus emportés, et qui commandent avec plus d'audace. ”.
La tension entre rapidité décisionnelle et science de la stratégie est au cœur de la réflexion de Machiavel dans Le Prince. Un souverain est à la fois humain et animal, à la fois lion et renard. Il doit embrasser les contradictions de l'humanité, s’appuyant sur le raisonnement et sur l’action, étudiant le passé et planifiant le futur. Le traité de Machiavel est plus qu'une lettre destinée à s'attirer les faveurs des Médicis ou qu'un manuel de gouvernance ; c'est une enquête sur la nature humaine et sur la manière dont cette nature peut être exploitée et utilisée pour et contre les autres membres de la société. Le " prince ” du titre n'est ni un héros ni un ennemi, mais un individu comme les autres.