La lèpre disparue, le lépreux effacé, ou presque, des mémoires, ces structures resteront. Dans les mêmes lieux souvent, les jeux de l'exclusion se retrouveront, étrangement semblables deux ou trois siècles plus tard. Pauvres, vagabonds, correctionnaires et « têtes aliénées » reprendront le rôle abandonné par le ladre, et nous verrons quel salut est attendu de cette exclusion, pour eux et pour ceux-là mêmes qui les excluent.
Dans cette citation, Foucault décrit une importante transition entre le Moyen-Âge et la période classique. Il explique que la structure d’enfermement reste la même et que seul change ce qui y est enfermé. Les personnes isolées étaient d’abord des individus souffrant de maladies physiologiques (les lépreux), puis ce fut au tour de celles qui étaient perçues comme déficientes sur le plan moral et éthique (les fous et les pauvres). Dans les deux cas, la société trouvait une catégorie de personnes à exclure, tel un prétexte pour définir ce qui était normal et ce qui ne l’était pas.
Dans toute l'Europe, l'internement a le même sens, si on le prend, du moins, à son origine. Il forme l'une des réponses données par le XVIIe siècle à une crise économique qui affecte le monde occidental dans son entier : baisse des salaires, chômage, raréfaction de la monnaie.
Cette citation décrit la cause sous-jacente du “grand renfermement”, illustré par l’essor des hôpitaux généraux conçus pour héberger de larges fractions des populations occidentales. Ce qui était perçu comme une crise morale était en réalité une crise économique : la pauvreté de la population était due aux faiblesses de l’économie européenne, mais cette pauvreté était perçue comme un échec personnel. L’enfermement apparut alors comme une solution à ce besoin d’isoler certaines catégories de la population.
Les nouvelles significations que l'on prête à la pauvreté, l'importance donnée à l'obligation du travail, et toutes les valeurs éthiques qui lui sont liées, déterminent de loin l'expérience qu'on fait de la folie et en infléchissent le sens. (…) La folie est ainsi arrachée à cette liberté imaginaire qui la faisait foisonner encore sur le ciel de la Renaissance. II n'y a pas si longtemps encore, elle se débattait en plein jour : c'est Le Roi Lear, c'était Don Quichotte. Mais en moins d'un demi-siècle, elle s'est trouvée recluse, et, dans la forteresse de l'internement, liée à la Raison, aux règles de la morale et à leurs nuits monotones.
La folie n’était au début pas considérée comme une maladie sociale distincte, mais comme un des éléments composant la catégorie plus large de la “déraison”. Cette catégorie fut conçue à partir de l’isolement des pauvres, car la pauvreté était perçue comme un échec moral individuel justifiant l’enfermement de cette population. Foucault soutient que, puisque la folie et la pauvreté étaient assimilées, les mêmes principes moraux et éthiques qui sous-tendaient la criminalisation des pauvres s’appliquaient aux fous. Les fous étaient vus eux aussi comme déficients sur le plan éthique, car ils n’apportaient pas de plus-value à la société.
L'internement cache la déraison, et trahit la honte qu'elle suscite ; mais il désigne explicitement la folie ; il la montre du doigt. Si, pour la première, on se propose avant tout d'éviter le scandale, pour la seconde, on l'organise.
Bien que la folie ait longtemps fait partie de la même catégorie de la « déraison » que la pauvreté et la criminalité, il n’en reste pas moins que sa relation à la publicité est particulière. Alors que les autres personnes perçues comme socialement inadaptées étaient considérées comme un secret qui devait être enfoui, la folie a toujours été assimilée à un spectacle public. Les fous étaient donc exposés à la vue de tous et parfois placés dans des cellules ouvertes sur la rue. La folie était plus un « scandale » qu’un secret, et le public préférait le scandale à la honte. Cela accorde à la folie une place toute particulière dans la façon dont elle a été débattue et pensée dans l’imaginaire collectif.
La folie est exactement au point de contact de l'onirique et de l'erroné ; elle parcourt, dans ses variations, la surface où ils s'affrontent, celle qui les joint et qui les sépare à la fois. Avec l'erreur, elle a en commun la non-vérité, et l'arbitraire dans l'affirmation ou la négation ; au rêve elle emprunte la montée des images et la présence colorée des fantasmes. Mais tandis que l'erreur n'est que non-vérité, tandis que le rêve n'affirme ni ne juge, la folie, elle, remplit d'images le vide de l'erreur, et lie les fantasmes par l'affirmation du faux. En un sens, elle est donc plénitude, joignant aux figures de la nuit les puissances du jour, aux formes de la fantaisie l'activité de l'esprit éveillé ; elle noue des contenus obscurs avec les formes de la clarté.
À l’âge classique, la folie était perçue comme quelque chose de distinct, et à la fois de semblable, aux rêves (l’onirique) et aux erreurs humaines (l’erroné). La folie s’apparente à un rêve en ce qu’elle donne l’impression de percevoir quelque chose qui n’existe pas, mais s’en distingue en ce qu’elle intervient lorsque l’on est éveillé. La folie ressemble aussi à une erreur, à une appréhension erronée de la réalité, mais elle s’auto-alimente en créant des images fausses pour que l’erreur semble plausible.
Pourtant, il y a une différence de nature entre les techniques qui consistent à modifier les qualités communes au corps et à l'âme, et celles qui consistent à investir la folie par le discours. Dans un cas, il s'agit d'une technique des métaphores, au niveau d'une maladie qui est altération de la nature ; dans l'autre, il s'agit d'une technique du langage, au niveau d'une folie perçue comme débat de la raison avec elle-même.
Foucault avance l’idée que la folie est structurée de la même façon qu’une langue, de façon rationnelle. Cela signifie que la folie doit être étudiée par et à travers le langage, par exemple en brisant les règles de la logique et de la grammaire. Dès lors, Foucault parle moins d’un délire du corps ou de l’esprit que d’un “discours” délirant, comme lorsque les gens ne parlent pas de façon cohérente. Surtout, ce discours n’appartient pas seulement au corps ou à l’esprit, mais il est une expression des deux en même temps.
À l'âge classique, inutile de chercher à distinguer les thérapeutiques physiques et les médications psychologiques. Pour la simple raison que la psychologie n'existe pas. Quand on prescrit l'absorption des amers, par exemple, il ne s'agit pas de traitements physiques, puisqu'on veut décaper l'âme aussi bien que le corps ; quand on prescrit à un mélancolique la vie simple des laboureurs, ou quand on lui joue la comédie de son délire, ce n'est point là une intervention psychologique, puisque le mouvement des esprits dans les nerfs, la densité des humeurs sont intéressés au premier chef.
Selon Foucault, l’analyse des causes de la folie changea énormément au cours de l’époque classique. Cette transition, ainsi que l’isolement des personnes concernées, qui étaient auparavant confinées avec les pauvres et les criminels, est l’un des plus importants changements qui eurent lieu à cette période de l’histoire. La folie était d’abord considérée comme un problème physiologique similaire à d’autres maladies. Elle finit cependant par être perçue comme un phénomène psychologique à l’esprit et non au corps. On put par exemple penser que la folie était causée par un sentiment de culpabilité lié à des actions du passé, ou était due à une certaine faiblesse de l’esprit. Foucault estime cependant que cette distinction entre les maladies du corps et de l’esprit, qui est acquise aujourd’hui, était beaucoup plus floue à l’époque : la folie était comprise comme l’expression simultanée de problèmes physiques et mentaux.
Donc un vide se creuse au milieu de l'internement ; un vide qui isole la folie, la dénonce dans ce qu'elle a d'irréductible, d'insupportable à la raison ; elle apparaît maintenant avec ce qui la distingue aussi de toutes ces formes enfermées. La présence des fous y fait figure d'injustice; mais pour les autres. Ce grand enveloppement est rompu dans lequel était prise la confuse unité de la déraison.
Dans cette citation, Foucault explique la façon dont la folie a été séparée de la catégorie plus large de la “déraison”, qui incluait aussi les pauvres et les criminels. Tous ces marginaux ont été regroupés ensemble lors du “grand renfermement” et isolés dans les hôpitaux généraux. Cependant, à la fin de la période étudiée par l’auteur, la folie commença à être vue comme quelque chose de distinct de la criminalité et de la pauvreté, mais elle était considérée, d’une certaine manière, comme un phénomène plus dangereux. Les prisonniers furent donc éloignés des fous pour les en protéger et la folie fut écartée des autres catégories de la déraison. Des traitements médicaux particuliers furent ensuite développés et les fous furent isolés dans les asiles.
Tout est organisé pour que le fou se reconnaisse dans ce monde du jugement qui l'enveloppe de toutes parts ; il doit se savoir surveillé, jugé et condamné ; de la faute à la punition, le lien doit être évident, comme une culpabilité reconnue par tous.
Foucault décrit dans cette citation l’un des objectifs des centres de traitement développés par Pinel. Trois méthodes avaient été identifiées pour permettre aux fous de se conformer aux attentes de la société. D’abord, le silence : laisser le fou seul en silence l’aiderait à se confronter à ses échecs. Puis, il était encouragé à se regarder dans un miroir afin de se juger lui-même, contrairement aux asiles de Tuke où il était jugé par les autres. Enfin, il devait procéder à un "jugement permanent”, facilité par cette observation constante, ce qui devait l’aider à se contenir et à adapter son comportement aux normes sociales.
Ce monde qui croit mesurer la folie, la justifier par la psychologie, c'est devant elle qu'il doit se justifier”
Foucault étudie ici la relation entre l’art, la folie et la civilisation. D’un côté, la folie peut être source de création artistique, et inspirer un “génie fou” comme Van Gogh. D’un autre côté, l’art et la folie s’opposent en ce que l'œuvre d’art nécessite du talent et des qualités de communication. Foucault conclut que la folie ne réside pas dans l'œuvre d’art elle-même, mais plutôt dans l’interaction entre l'œuvre et le monde qui la juge. Les personnes qui ont essayé de dompter la folie sont finalement confrontées à un art qu’elles auraient détruit si elles avaient éliminé la folie de la société.