L'Histoire de la folie à l'âge classique

L'Histoire de la folie à l'âge classique Résumé et Analyse

Foucault souligne dès la préface la difficulté d’écrire une histoire de la folie. Les personnes démentes étant incapables de retranscrire leur expérience, leurs récits ont été recueillis par ceux-là mêmes qui ont construit les catégories de “fous” et de “sains”. L’histoire de la folie n’est donc pas un dialogue, mais un monologue élaboré par les experts qui monopolisent la parole. Cela complique évidemment la tâche de ceux qui voudraient étudier la folie durant la période classique, qui s’étend de la fin du XVIe siècle à la fin du XVIIIe.

Foucault réussit néanmoins à esquisser la vaste transformation de la compréhension de la folie opérée à cette période. Il faut noter qu’il ne se concentre pas sur l’expérience de la folie en elle-même mais sur la façon dont les sociétés occidentales ont catégorisé ou interprété ce qu’elles ont défini comme étant la folie. L’auteur insiste sur deux évènements majeurs, dont l’un s’est produit au début de la période étudiée et l’autre à la fin. Le premier, survenu en 1657, consiste en la création en France de l’Hôpital général, conçu pour enfermer les pauvres et les fous. Le second, survenu en 1794, est la libération des prisonniers détenus à l’Hôpital Bicêtre, dans lequel seuls les fous restèrent internés. Nous pouvons donc observer, de 1657 à 1794, un mouvement consistant à ne plus considérer la folie comme faisant partie d’une catégorie plus large de délinquance sociale mais comme un phénomène isolé avec des espaces et des traitements propres. C’est ce mouvement et les réflexions psychologiques et sanitaires qui lui sont associées qu’étudie Foucault dans son livre.

Dans le premier chapitre, intitulé Stultifera Navis (la Nef des fous, en latin), Foucault explique le cheminement social qui a mené au “grand renfermement” des pauvres et des fous au XVIIe siècle. Il commence par étudier le développement des léproseries au Moyen-Âge, où les lépreux étaient envoyés pour être isolés du reste de la société. Cependant, alors que la survenance de la lèpre diminua dès la moitié du siècle, les léproseries furent conservées et commencèrent à être peuplées d’autres populations, comme les “pauvres, vagabonds, correc­tionnaires et « têtes aliénées »”. L’auteur établit donc une similarité symbolique entre les lépreux et les personnes dont la société avait décidé qu’elles représentaient une menace pour sa stabilité. Cette exclusion était toute relative, les léproseries restant des institutions sociales. Pour Foucault, le fait que les personnes exclues de la société le soient dans des endroits gérés par la société était symptomatique de la façon dont la notion de “normalité” était construite : à la fois en isolant et en pointant du doigt ceux qui ne correspondaient pas à cette idée. Les personnes atteintes de folie remplacèrent donc les lépreux dans le rôle des personnes isolées de la société. Là où l’isolement des lépreux permettait à ceux qui ne l’étaient pas de se définir comme en bonne santé, l’isolement des fous permettait à ceux qui ne l’étaient pas de se définir comme sains.

Foucault note qu’au moment où la lèpre reculait, l’emblème de la “Nef des fous” se développait, les fous étant envoyés loin des terres par bateaux. Il constate cependant que cette exclusion était déjà fréquemment narrée dans la littérature occidentale dès le début du XVe siècle. Les fous étaient des personnages importants des fables et des pièces de théâtre, leur souvenir n’étant donc pas complètement effacé de la mémoire de la société. Ils commencèrent même à jouer un rôle important dans les récits, le fou étant souvent considéré comme le gardien de la vérité.

Le développement de ce paradoxe, dans lequel le fou est à la fois un individu exclu et un élément crucial de la société, marque le début d’une conception moderne de la folie. Elle n’est plus quelque chose d’extraordinaire mais un simple trait de caractère. Alors qu’elle relevait auparavant du surnaturel, des fantômes ou des bêtes maléfiques, elle est désormais perçue comme un phénomène pouvant toucher tous les membres de la société. Foucault s’intéresse en particulier à la période de la Renaissance, dans laquelle se développent les représentations de différents types de folie. Shakespeare montre ainsi dans ses pièces des personnages qui deviennent fous d’amour, de vanité ou de désespoir. Dans tous ces cas, la folie découle de la condition humaine et non de l’intervention d’une entité surnaturelle. La folie reste quelque chose d’exceptionnel, une déviance de la norme, mais elle peut se développer à partir de situations sociales.

Cette évolution des mentalités affaiblit l’image de la Nef des fous : la folie n’est plus quelque chose qui doit être éloigné de la civilisation, mais un événement qui doit être géré et contenu au sein même de la société. La folie n’est plus affectée à un bateau fugitif, mais à des institutions comme des prisons, et elle n’est plus exilée mais confinée. Foucault conclut ce chapitre en soulignant que le début du XVIe siècle était “étrangement hospitalier” pour les personnes atteintes de folie. Ses représentations étaient omniprésentes et les gens commençaient à s’inquiéter du fait qu’ils pourraient, eux aussi, devenir fous. La folie devint une figure qui obsédait la population, et cette obsession donna lieu à une compréhension renouvelée de ce que signifiait être humain.

Analyse

Dans ces chapitres introductifs, Foucault expose l’objet de ses recherches et ses méthodes de travail. En tant qu’historien, il analyse le passé à travers les discours et le langage, y compris grâce à des archives. Cela implique qu’il ne cherche pas à écrire une histoire de la folie en elle-même, ni à dépeindre les causes et symptômes des maladies mentales, mais plutôt à comprendre les significations attachées à la folie et les évolutions liées aux changements des structures politiques et sociales. Cet accent mis sur le discours et le langage entraîne plusieurs conséquences. Tout d’abord, Foucault ne prend jamais pour acquis le fait qu’il existe une seule et unique conception de la folie à travers les âges. En effet, l’appréhension de la folie se fait au travers des discours : un phénomène ne peut être reconnu que si un mot lui est attaché, et notre compréhension du monde est souvent liée au vocabulaire dont nous disposons. Foucault considère que la folie est bien plus une affaire de discours que de symptômes physiques, ce qui implique que nous ne pouvons pas considérer que ce qui est aujourd’hui une maladie mentale l’était autrefois. Par exemple, les diagnostics de schizophrénie et de stress post-traumatique n’ont été élaborés qu’au 20e siècle, ce qui ne signifie pas que les maladies n’existaient pas avant. Elles n’étaient simplement pas identifiées. Selon la méthode de Foucault, l’histoire est toujours incomplète. Il adopte un point de vue similaire au dicton selon lequel l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, et suppose que les livres, pamphlets et documents écrits par la population à une certaine époque nous donnent certes une idée de la façon dont les gens raisonnaient, mais sont nécessairement imparfaits. Certaines choses étaient peut-être trop évidentes pour être écrites, et ces documents ne reflètent pas les voix des personnes marginalisées. Les archives historiques sont donc incomplètes, en particulier lorsque l’on cherche à reconstituer l’histoire d’un phénomène réprimé, invisibilisé. Foucault qualifie donc de “monologue” le discours de la folie, élaboré par des personnes qui pensaient être raisonnables et qui parlaient entre elles de personnes qui ne l’étaient pas. Personne ne prenait alors la peine de dialoguer avec les personnes “anormales”, en marge de la société. Ainsi, ce concept de “l’autre”, celui exclu de la société, a été construit mais jamais exprimé : les personnes concernées n’ont pas participé à l’élaboration de ce discours. L’auteur considère que ce discours élaboré par les insiders sur les outsiders concerne autant la construction sociale de ce qui est “malade” que celle de ce qui est “sain”, car ce qui est sain est défini par opposition avec ce qui ne l’est pas. Cette affirmation peut sembler contre-intuitive si l’on suppose que les personnes “normales” ont un point de vue plus objectif que celles qui sont “anormales”. La thèse de Foucault repose sur le fait que les catégories de “personnes saines” et de “personnes malades” sont des constructions sociales construites par les membres de la première catégorie. Ce va-et-vient des identités deviendra de plus en plus important au fur et à mesure que l’histoire de Foucault progressera.

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