La duperie de GM et la deuxième trahison de Manon
Le récit reprend à l’issu du souper. Les amants s’installent donc de nouveau à Chaillot et coulent un temps une existence paisible. Manon se lie d’amitié avec les femmes du voisinage et occupe ses journées à la promenade. Des Grieux s’inquiète de la joie de sa maitresse et est informé par un valet qu'un " prince " s’est épris de Manon lors de ses balades au bois de Boulogne. La jeune femme lui a même remis discrètement une lettre. Mais les inquiétudes du jeune homme sont rapidement dissipées par Manon elle-même. Un jour, le prince se rend à leur demeure de Chaillot pour y voir la jeune femme. Cette dernière le fait entrer et lui présente des Grieux en lui déclarant son amour profond pour son amant. Surpris par cette attitude, Des Grieux est vivement ému. Manon lui apprend alors qu'elle avait prévu cette rencontre à l’avance afin de s’amuser.
Un soir, alors que les amants et M. de T sont à table, le fils de M. de G. M. vient rendre visite au couple. Malgré leur mésaventure avec son père, M. De T. convint Des Grieux de l’inviter à dîner avec eux. Mais le fils de M. de G.M tombe rapidement sous le charme de Manon et confie son amour à M. De T. lors de leur retour en carrosse. Des Grieux, ayant observé la naissance des sentiments de son rival ne dit pourtant éprouver aucune jalousie en raison de la récente démonstration d’amour de Manon.
Ses soupçons sont cependant confirmés quelques jours plus tard, par M. de T. Des Grieux prend alors la décision d’informer Manon des intentions de son rival. Les amants mettent alors en place un nouveau stratagème pour se venger du père de M. de G.M. en dupant son propre fils. Au cours d’un repas, Des Grieux laisse à plusieurs reprises Manon seule avec son prétendant qui lui propose, dans une lettre envoyée le lendemain, de mettre à sa disposition un carrosse, un hôtel meublé, une femme de chambre, un laquais ainsi qu'un cuisinier. Manon, après en avoir informé Des Grieux et renouvelé ses promesses d’amour sincère, accepte ces présents. Les amants mettent en place un plan d’évasion après avoir volé le plus de biens possibles au fils de M. de G.M. Manon se rend à l'inauguration de son hôtel particulier parisien avec l'intention de rejoindre ensuite des Grieux mais, à l’issue de l’escroquerie, ne se présente pas au rendez-vous fixé. Dans une lettre apportée par une jeune courtisane, elle explique à Des Grieux que le fils de M. de G.M l’a comblé et que cette situation lui convient pour le mieux. Des Grieux, fou de douleur et de colère suite à cette nouvelle trahison, se rend chez M. de T. pour lui demander de l’aide. Manon et Des Grieux se rencontrent lors d’une entrevue secrète et la jeune femme lui assure qu'elle a agi ainsi afin de mieux duper le fils de M. de GM. Avec la complicité de M. de T., Des Grieux décide de se venger et fait enlever et séquestrer le jeune prétendant. Pendant ce temps le laquais a donné l’alerte au vieux M. de GM qui surprend les amants dans le lit de son fils. Manon et Des Grieux sont une nouvelle fois arrêtés et incarcérés à la prison du Châtelet.
Analyse :
Après une pause dans les aventures de Manon et Des Grieux et un rapide retour au récit cadre, le narrateur reprend la trame de son histoire. La deuxième partie du roman débute par un message d’espoir: « Oublions nos terreurs passées, ma chère amie […] et recommençons à vivre plus heureux que jamais. ». Ces mots prononcés par Des Grieux à l’adresse de Manon semblent annoncer la fin de leurs tourments et la détermination des amants à retrouver une vie paisible. Chaillot apparait une nouvelle fois comme le lieu idéal pour une telle reconstruction et les jeunes amoureux adoptent un train de vie calme et serein. Manon semble se contenter de peu et c’est d’ailleurs son comportement jovial qui inquiète, paradoxalement, le héros. Ses doutes se confirment rapidement. Un nouveau prétendant entre en lice et Manon semble de nouveau briser la confiance établie avec Des Grieux et, dans le même temps, avec le lecteur. Mais le retournement de situation qui intervient ensuite laisse de nouveau planer le doute. En effet, la rencontre avec le Prince italien est l’occasion d’une véritable déclaration d’amour et de fidélité de la part de Manon envers Des Grieux. La scène, traitée de manière extrêmement comique et théâtrale, déjoue les attentes du lecteur et du narrateur qui, surpris par cette mise en scène, s’interrogent plus avant sur la sincérité des résolutions de la jeune femme. Mais Manon a-t-elle réellement changé ? Si cette déclaration semble advenir comme une agréable nouvelle pour Des Grieux, elle illustre de nouveau le caractère instable et volubile de Manon qui exerce un pouvoir fort sur le chevalier.
Le train de vie calme des amants est de nouveau chamboulé par l’apparition d’un élément perturbateur en la personne du fils de M. de G.M. Malgré l’assurance de M. de T sur son caractère radicalement opposé à celui de son père, la fatalité rattrape une nouvelle fois les amants lorsque ce dernier tombe sous le charme irrésistible de Manon, confirmant ainsi son statut de femme fatale dans le roman. L’épisode qui suit est crucial pour la suite du récit puisqu’il s’agit de la dernière escroquerie du couple qui va les précipiter vers leur destin fatal. Cette scène de duperie fait d’ailleurs échos à du vieil M. de G.M. Cette impression de déjà-vu, renforcée par les anticipations de Des Grieux, laissent présager au lecteur l’issue de cette tromperie. Durant le repas, un duel déguisé se met en place entre Des Grieux et le jeune M. de G.M. Placé sous le signe de l’artificialité et du paraitre, dont le champ lexical sature le texte, cette scène consacre le talent de traitre de Manon et Des Grieux, désormais passés maitres dans l’art de la tromperie. Si leur entreprise a pour objectif de leur assurer une sécurité financière, les amants semblent pourtant plus animés par le plaisir que leur procure le crime plutôt que par la nécessité de trouver des ressources. Malgré leur réussite, matérialisée par l’énumération des biens mis à la disposition de Manon par leur victime, la joie des amants s’annonce d’ores et déjà éphémère.
La nouvelle trahison de Manon avec le jeune M. de G.M déjoue de nouveau les attentes du lecteur ayant assisté aux effusions d’amour de la jeune femme plus tôt dans le roman. Des Grieux, comme le lecteur, s’était laissé convaincre par la démonstration de fidélité de Manon, renforçant ainsi la surprise de sa trahison annoncée à travers une lettre. Il convient ici de souligner le rôle central joué par les lettres tout au long du roman, tantôt instruments de dissimulation tantôt support de révélations pour les personnages principaux.
Incapable de maitriser ses émotions, la confusion de Des Grieux est exprimée par le héros lui même dans la phrase « J’ajoutai mille choses, ou tristes, ou violentes, suivant que les passions qui m’agitaient tour à tour cédaient ou reprenaient le dessus. ». Cependant, malgré la colère et la détermination sans faille qui l’animent, Des Grieux refuse d’employer la force ou la violence pour obtenir une entrevue avec Manon, attestant d’une certaine forme de raison et de lucidité. Cependant, l’aveuglement dont il fait toujours preuve se matérialise par l’emploi du possessif « mon » devant « infidèle » ou encore par l’émotion qui transparait de son monologue presque théâtral. Des Grieux, amant « soumis et passionné » est de nouveau hypnotisé par les charmes de Manon « toute-puissante ». À l’inverse, la grande maitrise dont Manon fait preuve permet de dresser le portrait d’une manipulatrice aguerrie.
Le dernier acte malveillant de Des Grieux se met alors en marche. Le mélange de rage et amour éprouvé par le héros le conduit encore plus loin dans la violence et la débauche. Au-delà de la séquestration du jeune M. de G.M, les amants poussent la provocation à son paroxysme en dormant dans le lit de leur victime. Des Grieux justifie sa conduite par l’action presque surnaturelle de son « mauvais génie » et laisse présager à son lecteur l’issue de son récit. La mention du « glaive […] suspendu sur [leurs] têtes » symbolise, elle, l’épée de la Justice, prête à rendre sa sentence. Cette dernière s’incarne dans la figure du vieil M. de G.M et semble parfaitement illustrer l’adage « qui est prix qui croyait prendre ». La punition est brutale pour les amants et dirige de nouveau le lecteur vers une lecture morale du roman.