L’histoire de Manon Lescaut et du chevalier des Grieux est racontée par un «homme de qualité » nommé Renoncour. Alors qu'il se trouve à Pacy-sur-Eure en revenant de Rouen, il rencontre sur son chemin un convoi de femmes condamnées à la déportation en Amérique. L’une d’entre elles attire particulièrement son attention, malgré son triste état apparent. Intrigué, Renoncour se renseigne alors auprès du chef de convoi pour en savoir plus sur cette jeune femme. Il est alors présenté au chevalier des Grieux, qui se tient à l’écart, comme prostré dans sa douleur. Ce dernier est l’amant de la jeune femme, Manon, et, n’ayant pas réussit à la faire libérer, il a juré de la suivre au bout du monde. Il refuse de lui livrer son secret mais lui exprime ses sentiments pour la jeune femme. Renoncour, touché par sa situation et sentant la détresse du jeune homme lui remet de l’argent pour l’aider dans son entreprise.
Deux ans se sont écoulés lorsque, de retour de Londres et passant par Calais, Renoncour rencontre une nouvelle fois des Grieux. Le jeune homme est de retour des Amériques et entreprend de lui raconter l’histoire de sa vie.
Le récit de des Grieux commence alors qu'il n’a que 17 ans. Né dans une famille aisée et destiné à devenir chevalier de l’ordre de Malte, il a devant lui un avenir paisible et tout tracé. Il rencontre Manon alors qu'il vient d’achever ses études de philosophie. Il est accompagné, à cette époque, de son ami Tiberge. Alors que les deux jeunes hommes se promènent en ville, Des Grieux aperçoit Manon, une belle jeune fille, descendre d’un coche et s’en éprend au premier regard. La passion transforme aussitôt le sage écolier qui souhaite lui déclarer son amour. Après être venu à sa rencontre, elle lui apprend qu'elle est envoyée à Amiens par ses parents pour y devenir religieuse. Des Grieux s’empresse de lui révéler ses sentiments à son égard et lui propose de l’enlever le lendemain et de l’épouser. Tiberge tente de le dissuader mais Des Grieux parvient à tromper son ami ainsi que son père, et s’enfuit avec Manon à Saint Denis avant d’emménager à Paris.
Analyse :
Le roman débute par l’enchâssement de deux récits: celui de Renoncour et celui de Des Grieux qui lui relate ses aventures. Après avoir posé le contexte global de leur rencontre à Calais, Renoncour laisse la parole à Des Grieux. S’opère alors un retour dans le temps et le lecteur peut désormais prendre part au récit grâce à un procédé de focalisation interne qui permet ainsi de mêler le souvenir du chevalier et son récit distancié.
Le véritable récit des aventures de Des Grieux débute alors par un incipit qui permet de dresser le contexte global du roman tout en préparant son issue fatale. Des Grieux commence par narrer sa rencontre avec Manon. Il place d’abord le contexte de son récit grâce à un cadre spatio-temporel précis et un champ lexical du temps qui permet de situer son histoire et lui donner un caractère plus vivant. La rencontre avec Manon est décrite de façon assez anodine, lors d’une promenade entre amis : Tiberge et Des Grieux assistent à une quelconque scène de rue. Cependant, le ton du récit change à l’instant ou le jeune homme aperçoit Manon. Cette rupture, introduite par la conjonction de coordination « mais » permet de faire émerger Manon du groupe des femmes dont elle fait partie. Le lecteur comprend alors que le regard de Des Grieux se focalise sur elle-seule. Nettement individualisée par le narrateur, l’intérêt de ce dernier pour Manon transparait dans l’emploi d’adverbes d’intensités tels que « fort jeune » mais aussi par la précision qu'il fait dans la description de la jeune femme qu'il observe. Ainsi, Des Grieux passe d’un statut de spectateur passif à celui d’un observateur obnubilé par la figure de Manon. Mais malgré son regard focalisé, Des Grieux ne livre pas de description physique de la jeune femme. Seule l’émotion du jeune homme est sensible dans ce passage. L’emploi d’adverbes d’intensité tels que « si charmante », de termes tels que « enflammé » ainsi que la construction précipitée des phrases permettent de traduire l’intensité des émotions éprouvées par Des Grieux.
S’opère ici une rupture entre l’innocence du jeune homme décrite au début de l’extrait et sa nouvelle personnalité, dominée par la passion pour « la maitresse de [son] cœur ». Ainsi, la scène quotidienne premièrement décrite devient une rencontre cruciale pour Des Grieux, déjà submergé par sa passion.
Après cette première vision, une conversation s’engage entre Manon et Des Grieux et est relatée par le narrateur par le biais du discours indirect. Le portrait dressé de Manon au cours de cette entrevue est celui d’une personnalité ambigüe, à la fois ingénue et assurée mais aussi soumise à l’autorité parentale. Cette soumission est d’ailleurs mise en valeurs par l’usage d’une tournure passive lors de la mention de son envoi au couvent. La surprise de Des Grieux à l’annonce du noviciat de Manon est soulignée par l’usage de l’expression hyperbolique « coup mortel ». La fin de la rencontre se conclu sur la prévision du destin tragique des deux amants évoquée par Des Grieux à travers l’expression « et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens » créant ainsi un effet d’attente pour le lecteur.
La passion de Des Grieux semble alors croitre dans la suite du passage. L’usage d’adverbes d’intensité ainsi que de périphrases telles que « la souveraine de mon cœur » ou « ma belle inconnue » montrent la soumission du jeune homme ses sentiments. L’aveuglement de Des Grieux est ensuite souligné de manière ironique dans la phrase « cependant, l’amour m’ayant ouvert extrêmement l’esprit depuis deux ou trois heures […] » soulignant l’aveuglement de Des Grieux par sa passion.
Suite à cette première entrevue entre Manon et Des Grieux, le projet de leur fuite se dessine rapidement. La détermination de Des Grieux à extraire Manon de son destin monastique est mise en exergue à de nombreuses reprises à l’aide d’expressions à la tournure théâtrale comme « j’emploierais ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses parents ». Si les sentiments de Manon envers Des Grieux semblent réciproques, l’augmentation de ses sentiments pour le jeune homme à l’annonce de sa condition sociale préfigure le caractère vénal de la jeune femme.
Dans ce contexte, émerge la figure de Tiberge comme incarnation de la sagesse dans le roman et tentant, en vain, de maintenir son ami sur le droit chemin. Des Grieux s’oppose froidement à ses avertissements et la trahison qu'il effectue est alors la première d’une longue liste. Cette rupture avec Tiberge illustre le changement radical de la personnalité de Des Grieux et annonce la débauche dans laquelle l’amour le conduira.
Ce début du roman, marqué par la rencontre de Des Grieux et Manon, est donc un passage capital pour la suite du roman. Il donne au lecteur l’ensemble des informations qui lui permettent de mieux appréhender le récit et préfigure dans le même temps le destin tragique des amants. L’effet d’attente ménagé par l’auteur est total et le lecteur peut désormais se plonger dans le récit des aventures du couple.