Guide d’Étude - Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
Le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, du philosophe Jean-Jacques Rousseau, est une célèbre critique de la société moderne. Connu également sous le nom de Deuxième discours, il a été écrit en 1754 dans le cadre de la participation de l’auteur à un concours organisé par l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon. Contrairement à son Discours sur les sciences et les arts, l'œuvre n'a pas remporté de prix mais a apporté à Rousseau une grande renommée, le plaçant parmi les grands penseurs philosophiques.
L’essai analyse l'impact de la société moderne sur la nature humaine, dans une perspective politique et psychologique. Rousseau présente la nature humaine sous la forme d'une fiction. Il s'inspire de Thomas Hobbes, pionnier de la philosophie politique moderne. Dans son célèbre ouvrage, le Léviathan (1651), écrit pendant la guerre civile anglaise, Hobbes démontre comment un pouvoir central fort permet d'éviter les discordes et les guerres. En l'absence d'un tel pouvoir central autoritaire (que Michel Foucault appellera panoptique, reprenant les idées de Jeremy Bentham sur la prison idéale), chacun aurait naturellement la possibilité de faire ce qui lui plaît, ce qui aurait des conséquences désastreuses. Ce serait “la guerre de tous contre tous” (en latin original : bellum omnium contra omnes). Dans le chapitre XIII du Léviathan, intitulé “De la condition naturelle de l'humanité en ce qui concerne sa félicité et sa misère”, Hobbes observe que sans paix sociale, “il n'y a pas de place pour l'industrie, parce que son fruit est incertain, et par conséquent pas de culture de la terre... pas de compte du temps, pas d'arts, pas de lettres, pas de société, et ce qui est pire que tout, une peur continuelle et le danger d'une mort violente, et la vie de l'homme, solitaire, pauvre, méchante, brutale et courte.”.
L'argument de Hobbes peut être résumé ainsi : il est nécessaire d'établir une société régie par la loi et l'ordre et administrée par une autorité centrale, afin d'éviter les conflits socio-politiques.
Rousseau commence son essai en critiquant ce postulat. Il porte un regard cynique sur la société vantée par Hobbes et explique comment elle détache les êtres humains de leur “état naturel” de liberté individuelle existant dans les sociétés pré-civilisées.
Le sujet du concours organisé par l'Académie de Dijon était “Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes et est-elle autorisée par la loi naturelle ?”. Rousseau, cherchant à répondre à cette question, identifie deux variables de l'inégalité entre les êtres humains. La première est l'inégalité naturelle, ou physique, relative aux caractéristiques innées, sur lesquelles les humains n'ont absolument aucun contrôle. Par exemple, certains sont robustes et d'autres faibles, certains sont grands et d'autres petits, etc. Rousseau estime que ce n'est pas un facteur très important car ce n'est pas la raison première de l'inégalité entre les individus. En effet, cette disparité physique est commune à tous les êtres vivants. Le fait que les autres animaux n’expérimentent pas autant d'inégalités sociales que les humains prouve que la dissemblance naturelle ne cause pas de discriminations.
C'est l'”inégalité morale” qui divise les hommes dans la société, sur laquelle Rousseau porte une vision cynique. Il commence son essai en décrivant l'”homme naturel”, un sauvage qui ne se préoccupe que de lui-même et évite les confrontations avec les autres humains et les animaux. Les seules choses dont il a besoin dans ce monde sont “la nourriture, une femelle et le repos”. L’homme naturel de Rousseau diffère de celui de Hobbes : il n’est pas, contrairement à son homologue du Léviathan, confronté à une peur constante.
Le Discours ne s'intéresse pas à la trajectoire par laquelle cet homme naturel s'est transformé en membre de la société civile. Rousseau évoque seulement la complexité du processus. Il précise notamment qu’au cours de cette évolution, l'Homme moderne développe un sentiment d'amour propre et crée la propriété privée, qui est à l'origine de toutes les inégalités de la société moderne.
Rousseau a dédié cette œuvre à sa ville natale, Genève, dont il fait l'éloge en tant que république presque parfaite. Sa vision de Genève est néanmoins plus utopique que réelle, décrivant un État où les lois et les institutions sont stables et justes, où des citoyens bien élevés vivent en harmonie et où une amitié pacifique est entretenue avec les États voisins. Rousseau a probablement dépeint le régime idéaliste qu'il avait toujours souhaité, en opposition à ce qu’il a vécu à Paris, qu'il a quittée avec amertume.