Le Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité parmi les hommes de Jean-Jacques Rousseau, souvent abrégé en “Discours sur l'inégalité” ou “Discours”, est un traité sur la nature humaine et la société dans lequel l'auteur s'interroge sur ce qui divise les humains entre eux et sur l'origine de ces inégalités. Son œuvre est divisée en quatre parties : la Dédicace, la Préface, la Première partie et la Deuxième partie.
Rousseau a dédié cette œuvre à sa ville natale, Genève, dont il fait l'éloge en tant que république presque parfaite. Sa vision de Genève est néanmoins plus utopique que réelle, décrivant un État où les lois et les institutions sont stables et justes, où des citoyens bien élevés vivent en harmonie et où une amitié pacifique est entretenue avec les États voisins. La Genève de son époque n'était toutefois pas ce paradis. Rousseau a probablement dépeint le régime idéaliste qu'il avait toujours souhaité, en opposition à ce qu’il a vécu à Paris, où il a passé la plupart de ses jours, et qu'il a quittée avec amertume.
La préface souligne l'immense importance accordée à l'étude de l'humanité par rapport à toutes les autres disciplines. Rousseau commence ainsi : “La plus utile et la moins avancée de toutes les connaissances humaines me paraît être celle de l'homme et j'ose dire que la seule inscription du temple de Delphes contenait un précepte plus important et plus difficile que tous les gros livres des moralistes. Aussi je regarde le sujet de ce Discours comme une des questions les plus intéressantes que la philosophie puisse proposer, et malheureusement pour nous comme une des plus épineuses que les philosophes puissent résoudre.”. Rousseau estime que son essai doit débuter par une étude approfondie de l'humain car elle est nécessaire à l'étude de l'inégalité. Il pense que les découvertes scientifiques et les inventions technologiques éloignent progressivement l'humanité de son état primitif, qu'il appelle “l'état de nature”.
Selon Rousseau, il existe deux sortes d'inégalités au sein de l'espèce humaine. Il appelle la première l'inégalité naturelle ou physique, “parce qu'elle est établie par la nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps, et des qualités de l'esprit, ou de l'âme”. L'autre, à laquelle il s'intéresse particulièrement, est définie comme l'inégalité morale ou politique, “parce qu'elle dépend d'une sorte de convention, et qu'elle est établie, ou du moins autorisée par le consentement des hommes.”. Il est inutile de chercher les raisons de l'inégalité naturelle, qui ne peut être influencée et qui a peu d’impact dans la société ; l'auteur se concentre donc sur la seconde. Le thème précis de l'essai, selon Rousseau, est de “marquer dans le progrès des choses le moment où le droit succédant à la violence, la nature fut soumise à la loi ; d'expliquer par quel enchaînement de prodiges le fort put se résoudre à servir le faible, et le peuple à acheter un repos en idée, au prix d'une félicité réelle.”.
Dans la première partie, Rousseau commence sa dissection critique de “l'homme naturel”, car il pense qu'il est essentiel de “le considérer dès son origine, et de l'examiner, pour ainsi dire, dans le premier embryon de l'espèce”. Rousseau ne cherche pas à comprendre comment l'humanité a atteint sa condition actuelle dans la société moderne ; il admet seulement que ce fut un processus complexe. Il s’intéresse davantage à l'amour propre que l'humanité a développé au cours de cette évolution. L'homme naturel de Rousseau a un instinct de conservation qui découle de l’amour de soi-même. Toutes ses actions à l'état naturel sont initiées et motivées par cet amour de soi. Ainsi, c'est pour son propre bien qu'il cherche à éviter les conflits avec les autres hommes ou avec les animaux. Rousseau le voit “se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas, et voilà ses besoins satisfaits.”. Cet homme naturel est un sauvage qui se distingue de ses pairs uniquement par des différences physiques. Selon Rousseau, “La nature en use précisément avec eux comme la loi de Sparte avec les enfants des citoyens ; elle rend forts et robustes ceux qui sont bien constitués et fait périr tous les autres ; différente en cela de nos sociétés, où l'État, en rendant les enfants onéreux aux pères, les tue indistinctement avant leur naissance.”.
Néanmoins, ce qui différencie l’homme naturel du reste du règne animal est sa perfectibilité et son sens inné de la liberté. Par perfectibilité, Rousseau entend la manière dont l'être humain est capable d'apprendre de nouvelles choses en observant les autres ou la nature elle-même. Il définit la liberté comme la capacité de transformer ou de surmonter l'instinct naturel. Le sauvage de Rousseau est dépourvu de la capacité de raisonner, ce qui le rend sensiblement différent du sauvage imaginé par Hobbes. En effet, alors que l'homme sauvage du Léviathan est constamment anxieux, l'homme naturel de Rousseau ne peut concevoir la mort.
La deuxième partie commence par un scénario dramatique imaginaire décrivant la première propriété privée jamais acquise. Rousseau décrit comment “Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile.”. Cette propriété privée est la cause de l'inégalité entre les êtres humains modernes. Telle est la réponse de Rousseau à la question originelle qui a motivé l’essai : la propriété privée est à l'origine de l'inégalité. Tant que les hommes se satisfaisaient de leurs besoins rustiques, ils étaient heureux et égaux, “tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce indépendant”. Par contre, “dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre ; dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.”.
L’essai se termine par une question de Rousseau quant aux conséquences à tirer de son analyse : “Faut-il détruire les sociétés, anéantir le lien et le mien, et retourner vivre dans les forêts avec les ours ?”. Il ne répond pas, suscitant les réflexions de ses lecteurs et des générations futures.