Résumé
L'essai de Rousseau a été écrit pour un concours organisé par l'Académie de Dijon sur le thème suivant : quelle est l'origine de l'inégalité entre les hommes, et est-elle autorisée par le droit naturel ? Rousseau précise qu'il ne va pas répondre directement à ces questions. Il identifie une question plus large qui conduira à une réponse plus spécifique : qu'est-ce que l'Homme ?
L'être humain est tellement déformé par la culture et par les institutions de la société qu’il faut l’imaginer tel qu’il est à l’état de nature pour saisir son essence. Cela pose deux problèmes. Premièrement, il est difficile d’identifier les aspects de l'humain qui sont naturels de ceux qui sont conditionnés par la société. Deuxièmement, si nous ne savons pas ce que sont la nature et le droit, comment pouvons-nous savoir avec certitude si le droit naturel a autorisé l'inégalité ? Cela semble être une contradiction puisque les lois sont données rationnellement alors que pour être naturelles, elles devraient émaner de la voix de la nature.
Rousseau identifie deux aspects du caractère humain qui n'ont pas été déformés par la culture. Le premier est le désir d'auto-préservation, qui, selon lui, est commun à toutes les créatures naturelles. Le second est la pitié. Ces deux éléments sont à la base du développement ultérieur de l’être humain. Nous avons pitié de la souffrance des autres, non pas par raison, mais du fait de sentiments qui précèdent la pensée rationnelle. Les sentiments lient les êtres humains entre eux avant les institutions. Les animaux ne sont pas soumis à la loi naturelle car ils n'ont pas de raison. Mais ils sont soumis au droit naturel, parce qu'ils sont des objets de pitié qui peuvent ressentir. Les animaux ont le droit de ne pas être maltraités par les êtres humains.
Pour comprendre l'humain tel qu'il est réellement, il est plus facile de répondre aux questions sur ce qui est changeant et ce qui est immuable, sur ce qui lui est destiné et sur ce qu'il s'est infligé. Cette étude préalable est nécessaire pour analyser la société moderne.
Analyse
Rousseau s’est fait connaître avec un essai intitulé Le Discours sur les arts et les sciences qui lui a valu le premier prix d’un concours antérieur organisé par l'Académie de Dijon. Cette fois-ci, il n'a pas réellement inscrit son essai au concours. Le sujet lui a servi de point de départ d'une réflexion plus large sur la nature humaine – qui aurait été beaucoup trop longue pour les exigences du concours. Il l'a donc fait publier lui-même. Cet élément de contexte nous donne une idée de la place de Rousseau dans les débats philosophiques de son époque. Bien qu'il ait été très lu, il a résisté à de nombreuses pratiques formelles et institutionnelles afin de s'engager dans ce qu'il considérait comme des réflexions plus profondes et plus substantielles.
La préface nous donne également une idée de la place de Rousseau dans certains des grands débats de son époque, notamment celui autour du droit naturel. Bien que ce concept puise ses racines dans l'antiquité grecque, Rousseau répond principalement au philosophe anglais Thomas Hobbes. Hobbes envisage la possibilité que les êtres humains aient des droits du seul fait d'être humains : le droit de ne pas subir de dommages physiques, par exemple. Cette ligne de pensée a fortement influencé la Constitution américaine. Les lois naturelles sont des lois basées sur ces principes, comme le commandement d'éviter de faire du mal aux autres dans la mesure du possible.
Rousseau, plutôt que de rester dans les termes du débat sur les droits naturels, s'intéresse à la question plus large de définir ce qu’est la nature. Que cela signifie-t-il d'agir naturellement ? Rousseau explique d’abord le va-et-vient entre l'intériorité et la sociabilité humaine. Il soutient ensuite que la société n'est pas fondée sur la raison mais sur les sentiments.
Cette question dépasse les termes du concours de rédaction et deviendra la pierre angulaire de l'éthique de Rousseau. Pour lui, nous sommes heureux lorsque nous agissons selon nos impulsions naturelles et notre conscience ; nous sommes malheureux lorsque nous acceptons des devoirs, des obligations, voire des privilèges que nous considérons comme inauthentiques. La recherche d'une vie authentique, en accord avec les principes de la nature, aura une influence considérable, notamment dans les arts allemands et les travaux de J.W. Goethe, de Friedrich Schiller et du mouvement romantique, qui voyaient dans l'art un outil pour imaginer une telle vie.