Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalité parmi les hommes

Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalité parmi les hommes Résumé et Analyse

Résumé

Après avoir décrit l'état de nature, Rousseau s'intéresse à la manière dont la société a pu se former. L'homme naturel avait tout ce dont il avait besoin et ne pensait qu'à sa propre conservation. Peu à peu, les êtres humains ont appris à dominer leur corps et leur environnement, en pêchant et en chassant. Ils ont ensuite appris à faire du feu. Ils ont analysé les éléments qui les entouraient pour les qualifier de grands, petits, rapides ou lents. Cette capacité d'apprentissage a permis à l'humain de mieux maîtriser la nature. Il a appris à piéger les animaux et à combattre les autres prédateurs.

En entrant en contact avec d'autres êtres humains, il a progressivement constaté qu'ils se comportaient comme lui. Leurs intérêts communs ont amené les êtres humains à s’associer librement et temporairement pour travailler ensemble, sans obligation durable. Chaque personne agissait dans son propre intérêt, en utilisant sa force ou son intelligence. Petit à petit, les individus ont appris à s'engager mutuellement – s'ils chassaient un cerf ensemble, chacun savait qu'il devait accomplir une tâche particulière. Ce type d'association ne nécessitait qu'un langage très simple.

Lorsque les humains ont commencé à fabriquer des outils, les premières disputes sont apparues, rapidement résolues par les plus forts. L'habitat commun a donné naissance à la famille, qui à son tour a créé l'amour conjugal et l'amour paternel. Cela a créé les premières différences basées sur le sexe : les femmes surveillaient la hutte, les hommes partaient à la chasse. Cette organisation a commencé à instaurer une domination des hommes sur les femmes.

Les individus se sont ensuite regroupés en groupes puis en nations, unies par des coutumes et des caractéristiques communes. Ces regroupements ont créés les premières formes de socialisation, les premières occasions d'amour et les premières jalousies. Les pratiques culturelles sont progressivement apparues et chacun a commencé à rechercher l’estime de l’autre. Ainsi est née la première source d'inégalité et le premier vice. Dès que les êtres humains ont commencé à s'estimer mutuellement, les premières luttes pour cette estime ont surgi. Rousseau affirme que la plupart des tribus “primitives” avec lesquelles les nations civilisées ont eu des contacts vivent actuellement à ce stade.

Avec la société est née la morale, qui désigne les lois communes à tous les individus. Ces lois ont instauré des châtiments pour dissuader toute personne de les enfreindre. Rousseau pense que cet état était probablement le meilleur pour l'individu, puisqu'il bénéficiait des avantages liés à la vie commune, tout en préservant une certaine autonomie et une forme d'égalité. Les inégalités sont apparues dès lors que les individus ont découvert les bénéfices de l’association.

Rousseau soutient que la découverte du fer et la culture du blé ont plus moins commencé à former la société telle que nous la connaissons, conduisant à la première division du travail. Certains hommes fondaient le fer et le forgeaient, d'autres cultivaient la nourriture. La culture de la terre a conduit à la première propriété : l'institution du travail et du labourage du sol a créé un droit de l’homme sur le blé qui y pousse.

Les plus forts sont ceux qui travaillent le plus tandis que les plus intelligents trouvent le moyen de travailler moins. Le fermier a besoin de fer et le forgeron de blé : ils échangent leurs biens mais le fermier travaille nettement plus que le forgeron.

La race humaine telle que nous la connaissons est apparue à ce moment. Les inégalités existent en matière de de richesse, de pouvoir, de chance, mais aussi d'estime. Les individus vont donc commencer à manipuler les apparences pour acquérir l’estime de l’autre. C'est à ce moment-là que s'ouvre la première distinction entre le paraître et l'être. L'individu devient assujetti à l'estime et aux capacités pratiques de ses semblables. En tant que maître, il a besoin de travailleurs ; en tant qu'esclave, il a besoin de maîtres pour le protéger.

La richesse consistait initialement en des terres et du bétail. Bientôt, l’acquisition de terres n’a pu se faire qu’aux dépends des autres. Les conflits liés à la propriété ont créé l'état de guerre de tous contre tous décrit par Hobbes.

Le droit a été inventé pour préserver les biens et protéger l'humanité. Désormais, les riches pouvaient utiliser la force pour se défendre. Ils prétendaient que le but de la loi était de sauver les faibles de l'oppression et de freiner les ambitieux. Le droit visait en réalité à protéger la propriété privée.

Rousseau distingue cette théorie de l'origine du droit de deux autres théories répandues : la conquête des riches et l'union des pauvres pour se protéger mutuellement. Dans le premier cas, la conquête est si ouvertement fondée sur l'usage de la force qu'elle ne saurait être le fondement de la loi, qui repose sur des droits mutuellement reconnus entre individus. Dans le second cas, les pauvres n'avaient rien à gagner à inventer le concept de droit, puisqu'ils n'avaient pas de biens à protéger.

Les premières formes de gouvernement n'étaient ni constantes ni régulières. Les premiers gouvernements ne faisaient que gérer les crises au fur et à mesure qu'elles se présentaient. Ils étaient dépourvus de toute philosophie directrice. Chaque génération ajoutait simplement ses coutumes à celles de la génération précédente au lieu d'organiser l'ensemble des règles en un système cohérent. Il était facile d'enfreindre les lois et d'éviter les punitions.

Rousseau soutient que le despotisme qui caractérisait les premiers gouvernements ne pouvait être plus différent de la tendresse de l'amour paternel. Les parents s'occupent de leurs enfants ; les rois s'occupent d'eux-mêmes. De même, un père ne peut exiger l'amour de ses enfants alors que c'est ce que les rois attendent de leurs sujets. Il est plus probable, conclut Rousseau, que les choses soient inversées : l'autorité paternelle découle de la loi. La forme perverse de la paternité moderne, dans laquelle les pères font miroiter un héritage pour que leurs enfants suivent leurs ordres, est calquée sur le comportement des souverains.

Rousseau rejette également l'idée que les hommes aient pu donner volontairement leur liberté à un tyran. Il n'est pas possible de donner sa liberté, dit Rousseau, car c'est un bien naturel, le seul qui compte réellement, contrairement à la propriété. Donner sa liberté, c'est donner son existence même. Il en conclut que la tyrannie est née de la loi.

Selon Rousseau, le génie du droit réside dans le fait que les magistrats qui appliquent la loi ont intérêt à le faire efficacement. En effet, s'ils échouent, ils perdent le pouvoir qui découle de leur position. Le gouvernement est l’autorité qui fait respecter les lois, qui sont censées exprimer la volonté générale du peuple. Rousseau compare cet arrangement à un contrat. Tout comme les contrats n'auraient aucune valeur s'il n'y avait pas de loi pour s'assurer que les deux parties respectent leurs engagements, la loi serait inutile s’il n’existait aucune autorité veillant à son respect. Rousseau identifie ce qu’il pense être l'origine de tout gouvernement.

Tous les magistrats étaient initialement élus en fonction de leur richesse, de leur sagesse ou de leur âge. Ces élections ont donné lieu aux premiers complots et aux premières guerres civiles. Les dirigeants s'habituaient au pouvoir et le transmettaient à leurs enfants tandis que le peuple s'habituait à la paix de la servitude. L'histoire de l'inégalité commence ainsi avec l'établissement de la loi, se poursuit avec la création du gouvernement et s'achève lorsque les premiers gouvernements perdent leur légitimité et deviennent arbitraires.

Selon Rousseau, les lois n'ont aucun effet civilisateur. Elles ne font que contraindre les individus, qui s’y soumettent car ils essaient, dans une certaine mesure, de se commander eux-mêmes. Le vrai bonheur consisterait ni à se soumettre, ni à commander.

Rousseau divise l'inégalité en quatre catégories : la richesse, la noblesse, le pouvoir et le mérite personnel. En fin de compte, il conclut que toutes ces catégories se ramènent à la richesse, puisqu'elle achète les trois autres. Plus une société est riche, plus elle est corrompue et plus l'inégalité y est présente. Le désir général de richesse crée le chaos et fomente les divisions entre les individus. La richesse crée une parodie dégradée de l'état de nature : tous les êtres humains sont à nouveau égaux, car tous ne sont rien. La lutte constante pour le prestige change la psychologie humaine : les individus ne souhaitent plus être libres. S'ils voulaient vraiment l’être, une telle société ne pourrait pas prospérer.

Ainsi, l'homme naturel et l'homme civilisé n'entretiennent qu'une relation ténue. Ce qui rend l'un heureux rend l'autre malheureux, et vice versa. Nous savons que la société à laquelle nous appartenons n'est pas vraiment légitime. Nous pouvons être honorables sans être vraiment vertueux, nous pouvons être maîtres en philosophie sans être vraiment sages, et si nous pouvons satisfaire de nombreux plaisirs, aucun d'entre eux ne nous apporte vraiment du bonheur. L’inégalité est une perversion de l’état de nature.

Analyse

Rousseau prétend, d'une part, dérouler un récit communément admis sur l'histoire de l'humanité, tout en affirmant, d'autre part, que l'ordre des événements et le développement des institutions humaines peuvent être déterminés rationnellement. Pour le lecteur moderne, il peut être difficile de comprendre l’immense contribution de l’essai de Rousseau à son époque.

Rousseau a écrit cet essai dans le cadre d'un concours. Son texte étant devenu trop long, il n’a pu le terminer à temps et l’a finalement publié sous forme de pamphlet indépendant. Le gagnant du concours est un abbé. Sa réponse à la question posée sur l’origine de l’inégalité était la suivante, considérée comme évidente à l’époque : les individus sont inégaux parce que Dieu les a faits ainsi et veut qu'ils restent ainsi.

Rousseau, en revanche, offre une image très distincte du développement humain, qui évolue au gré des hasards et des bouleversements naturels. Les tremblements de terre et les tempêtes rapprochent ou séparent les êtres humains, servant de catalyseurs dans l’évolution humaine.

Néanmoins, la philosophie religieuse imprègne l'analyse de Rousseau. Le théoricien Erich Auerbach rappelle qu’il est “constitutionnellement chrétien” – que même si Rousseau ne pouvait intellectuellement accepter l'existence de Dieu, de nombreuses valeurs du christianisme résonnaient en lui. La première partie du Discours de Rousseau décrit un véritable paradis perdu. L'histoire de l'humanité ne commence véritablement que lorsque nous sommes expulsés de cet Eden. C'est l'histoire de la corruption, qui a donné naissance au monde d'aujourd'hui, un monde contre nature et mauvais.

On croit souvent à tort que Rousseau veut revenir à cet état de nature. En fait, comme l'affirme le philosophe Ernst Cassirer, le “paradis” que Rousseau envisage à la fin de cette histoire est la société idéale décrite dans Le Contrat social. Cette historiographie tripartite, quasi chrétienne, d'un passé idéal, d'une chute et d'une rédemption sur Terre aura une influence considérable sur le philosophe allemand G.W.F Hegel et sur Karl Marx.

Comme Marx, Rousseau accorde également une grande importance à la division du travail et aux conséquences de celle-ci sur le développement social de l'humanité. La société est créée en divisant des tâches complexes en rôles individuels que les individus accomplissent. Cela place les êtres humains dans une position où ils ne peuvent plus survivre indépendamment mais dépendent les uns des autres pour assurer leur subsistance. L'histoire de la propriété émerge donc du travail : en travaillant, on a le sentiment d'avoir un droit sur les produits de son propre travail. Rousseau ne considère donc pas la propriété comme un droit naturel, donné par Dieu. La division du travail, à son tour, produit des différences de classe qui sont créent des conflits. La société est constituée pour résoudre de tels conflits et assurer un minimum de paix sociale.

Rousseau emprunte à Aristote sa vision du développement des lois et des systèmes de gouvernement (démocratie, monarchie, despotisme). Il en conclut qu'aucun système de gouvernement n'est vraiment légitime car tous se fondent sur l'inégalité naturelle pour l'aggraver encore plus. Cette argumentation aura un impact majeur sur les changements sociaux des XVIIIème et XIXème siècles. Pour les grandes figures de la Révolution française, comme Danton et Robespierre, il découle de la pensée de Rousseau que le seul arrangement social véritablement légitime est celui dans lequel les êtres humains sont égaux et à nouveau maîtres de leur destin, comme ils l'étaient dans l'état de nature.

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