La deuxième partie de La volonté de savoir s’intitule “ l’hypothèse répressive ”. Au début du premier chapitre, Foucault rappelle les grandes lignes de cette théorie : depuis la fin du XVIIème siècle, nous nous sommes trouvés contraints au silence sur la sexualité. Foucault réfute rapidement cette idée. Il reconnaît que la société bourgeoise occidentale a sélectionné les termes du discours sur le sexe, mais note que l’histoire révèle une “ véritable explosion discursive ” en matière de sexualité. Foucault suggère que de nouvelles règles discursives ont été codifiées. Ces règles ont restreint et normé la discussion sur la sexualité sans pour autant la silencer. Par ailleurs, la production et l'application de codes dans le discours sur le sexe sont elles-mêmes une forme de discours sur le sexe.
Foucault suggère également que les institutions incitent à parler de sexe, écoutent les individus parler de sexe et cherchent à faire “parler [le sexe de] lui-même” par le biais de l'enquête scientifique et de l'observation empirique.
Afin d’illustrer ses propos, Foucault se réfère à l'histoire de la confession catholique. Avant le XVIIème siècle, il était courant que les prêtres posent des questions extrêmement précises et sexuellement explicites lors de la confession, allant jusqu'à demander des détails sur les positions sexuelles et le moment de l'orgasme. Avec l'avènement de la modernité, les prêtres ont eu recours à des questions beaucoup moins explicites, préférant des expressions vagues et détournées. Jusqu'à présent, l'histoire de la confession semble aller dans le sens de l'hypothèse répressive. Pourtant, à partir de l’époque moderne, le champ d'intérêt du confessionnal pour les péchés sexuels s'est considérablement élargi, prenant en compte aussi bien les actes sexuels que les fantasmes sexuels, les rêveries et toute autre pensée dite impure. L'imprécision du langage du prêtre correspondait à une catégorie beaucoup plus large de ce qui devait être confessé.
Foucault suggère un lien direct entre ces pratiques confessionnelles nouvellement invasives et le développement de fictions libertines. My Secret Life, écrit par un libertin anglais anonyme qui raconte ses nombreuses aventures sexuelles, en est un exemple. Alors que la confession et l'écriture libertine étaient tous deux liés à la spiritualité chrétienne, le discours des Lumières a maintenu la contrainte de parler de sexe en expurgeant l'élément religieux. La rationalité moderne a sécularisé l'incitation de parler de sexe en repensant la morale sexuelle en termes de bien public. Le sexe, présenté comme une " affaire de police ", est devenu un sujet de préoccupation pour les institutions, qui ont continué de réglementer le comportement sexuel. Les études démographiques, apparues au XVIIIème siècle, constituent un exemple d’une telle régulation. Les sociétés ont soudain jugé nécessaire d'analyser la natalité, les taux de mariage et de taux de rapports sexuels, afin d’assurer la continuité de leur population.
Ces pratiques ont fait de la vie sexuelle des individus un enjeu social dont il était essentiel de parler. Les incitations institutionnelles au discours sexuel ont pu donner l’impression d’être parcellaires. Foucault donne ainsi l'exemple de la sexualité des enfants, que nous considérons comme historiquement ignorée. Au contraire, Foucault montre que les préoccupations relatives à la sexualité des enfants ont façonné la disposition des dortoirs, les horaires de sommeil et les protocoles de surveillance dans les pensionnats européens. Foucault prend l'exemple d'une école allemande qui, en veillant à ce que les élèves ne puissent pas avoir de relations sexuelles entre eux ou se masturber, a essayé d'amener ces élèves à penser et à parler du sexe de la manière la plus claire et la plus technique possible.
Foucault propose un dernier exemple pour illustrer son propos. Il s'agit d'un jeune homme du nom de Jouy, un valet de ferme du XVIIIème siècle, inconnu, qui vivait en Lorraine. Le jeune homme a été découvert en train d'obtenir des faveurs sexuelles de la part d'une petite fille. Ses parents le signalent au maire du village, qui appelle la police. Jouy est arrêté, inculpé, puis examiné par un comité médical. Un rapport sur son état mental est publié. Foucault utilise cette histoire pour souligner la multiplicité des discours sur la sexualité : la police, le juge, et le médecin ont tous jugé nécessaire de rechercher la vérité sur ce qu'avait fait Jouy. Ses actes deviennent un objet de connaissance pour la science et sont ainsi l’affaire du pays tout entier.
Pour conclure ce chapitre, Foucault remarque que la prolifération de discours sur le sexe, qui traitent la sexualité comme l’ultime vérité sur l’humain, ont fait du sexe un ultime secret à analyser.
Analyse
Premier chapitre d'une section consacrée à l'hypothèse répressive, " l'incitation aux discours " s'efforce de réfuter l'idée selon laquelle le sexe a été contraint au silence, tout en traitant du contrôle des discours sur le sexe au cours des trois derniers siècles. Foucault utilise de nouveau le champ lexical du “victorianisme” pour faire allusion à l’hypothèse répressive : le “ victorianisme ” désigne une moralité sexuelle stricte et confine le discours sur le sexe à un vocabulaire d'euphémismes et d'allusions. Foucault considère que la codification des discours relatifs à la sexualité reflète la volonté d'introduire le sexe dans le discours.
Foucault évoque également le plaisir que procure le fait de parler de sexe. Pour Foucault, avouer ses indiscrétions sexuelles permet d'éprouver une forme de plaisir mieux acceptée par la société que les actes sexuels en question. La littérature libertine ne vise pas seulement à revivre des moments vécus, mais aussi à se libérer du poids d'un secret. De même, le prêtre dans le confessionnal éprouvait un plaisir intense, révélant sa propre sensualité pécheresse. Selon Foucault, le langage de la confession depuis le XVIIème siècle est devenu vague et euphémique. Ce traitement mystérieux de la sexualité a contribué à ce que nous percevions le sexe comme le secret le plus profond de l’être humain.
Lorsque Foucault examine le passage d'une éthique sexuelle inspirée du catholicisme à une éthique inspirée du rationalisme des Lumières, le détachement et la réflexion scientifique remplacent le plaisir. Au XVIIIème siècle, les scientifiques doivent pouvoir parler sérieusement et sans honte de la sexualité. Foucault suggère ainsi que le langage sexuel a été modifié afin de devenir scientifique. Bien que Foucault ne le dise pas explicitement, une logique similaire de suppression du plaisir peut être trouvée dans le cas de l'école pudibonde.
Cette approche détachée et rationnelle pour faire parler la sexualité anticipe ce que Foucault appelle une Scientia Sexualis, ou “ science du sexe ”, dans la troisième partie. Avec ce chapitre, Foucault esquisse les débuts de l'histoire de la transformation du sexe en un objet d'attention discursive. L'hypocrisie reste au cœur du discours sexuel : alors que diverses sciences du XVIIIème siècle cherchaient à parler du sexe de manière détachée, leur méticulosité maintient le sexe comme un objet d’étude infini, sensationnel et central à la connaissance de l’être humain.