Dans ce chapitre, Foucault évoque ce que devrait être le champ d'une histoire de la sexualité. Il insiste sur le fait que la sexualité n'est pas quelque chose d'étranger au pouvoir, ni quelque chose que le pouvoir se contente de réprimer, de contrôler ou de gérer. Au contraire, le sexe est un “ point de passage ” des relations de pouvoir entre une variété étonnante de sujets. Le sexe est au centre des échanges de pouvoir “ entre hommes et femmes, entre jeunes et vieux, entre parents et progéniture, entre éducateurs et élèves, entre prêtres et laïcs, entre une administration et une population. ”. La sexualité est un “point d’appui” des relations de pouvoir.
Malgré la multiplicité des stratégies possibles pour utiliser la sexualité comme levier de pouvoir, Foucault nomme quatre grands ensembles stratégiques qu'il considère comme fondamentalement importants pour l'histoire de la sexualité moderne :
- L'hystérisation du corps des femmes : un processus moral, médical et sociologique a d'abord affirmé que le corps des femmes était excessivement sexuel, puis a pathologisé cette sexualité excessive en tant que problème médical (hystérie), pour interpréter la sexualité pathologique des femmes comme un sujet de préoccupation pour la société dans son ensemble. La société exige un contrôle de la sexualité des femmes, afin de maintenir une population reproductrice en bonne santé.
- Une pédagogisation de la sexualité des enfants : les enfants sont également considérés comme “ se livrant ou susceptibles de se livrer ” à des activités sexuelles, qui est considéré tant comme normal que “ contre-nature ”. Cette sexualité doit être prise en charge par des expert·es adultes – parents, familles, éducateur·ices, psychologues, etc.
- Une socialisation des conduites procréatrices : au discours incitant à la procréation s’ajoutent des incitations économiques pour contrôler la fécondité des couples.
- Une psychiatrisation des plaisirs pervers : les " anomalies " sexuelles sont considérées comme des pathologies mentales. La psychiatrie recherche alors des moyens de corriger les comportements pervers. Au travers de ces stratégies, quatre grandes figures d’études émergent : la femme hystérique, l’enfant masturbateur, le couple reproducteur et l’adulte pervers.
Foucault soutient que ce sont ces stratégies qui ont produit la sexualité, en tant que manière d'organiser et d'expérimenter le désir et le plaisir sexuels. Selon Foucault, la sexualité n’est pas une partie objective de nous-mêmes, mais une construction historique et sociale. Plutôt qu'un élément insaisissable de la vie individuelle que le pouvoir tente de contrôler, la sexualité est le produit d'un réseau dense de forces et de relations, et d'un discours qui organise ce réseau de forces et de relations selon des stratégies de savoir et de pouvoir.
Foucault défend son propos en distinguant le “ dispositif d’alliance ” et le “ dispositif de sexualité ”. Toutes les sociétés de l'histoire ont connu un dispositif d'alliance, c'est-à-dire un ensemble de codes qui organisent et régissent les relations acceptables entre les personnes – mariage, parenté, etc. Depuis le XVIIIème siècle, notre société a mis en place un dispositif de sexualité, c’est-à-dire un ensemble complexe et polyvalent de codes qui façonnent et contrôlent la manière dont nous comprenons et parlons de nos désirs et de nos actes sexuels.
Ces deux dispositifs convergent le plus visiblement au sein de la famille traditionnelle, qui est pour Foucault l’ancrage, le “ cristal ” de la sexualité. Les relations de pouvoir entre mari et femme, entre parents et enfants, entre la famille et le reste de la société, font de la famille un incubateur particulièrement dense de la sexualité moderne.
Foucault conclut ce chapitre en liant l'importance croissante de la sexualité à l’évolution du capitalisme moderne. Le capitalisme soutient le dispositif d’alliance et requiert un contrôle strict de la force de travail pour assurer tant sa productivité que sa reproduction. Les relations sexuelles sont donc étroitement contrôlées. À la fin du XIXème siècle, Foucault suggère qu'une nouvelle forme de capitalisme apparaît, exigeant moins un contrôle direct sur les capacités reproductives des individus qu’une canalisation des désirs dans les circuits économiques.
Analyse
Dans ce chapitre, Foucault énonce explicitement sa thèse : la sexualité est une construction sociale. Cet argument s’oppose à des positions plus essentialistes selon lesquelles la sexualité est un aspect inné, fixe et inhérent à l’individu. Foucault reconnaît que différentes formes de sexualité ont existé tout au long de l’histoire, remontant jusqu’à la Grèce antique, ce qui pourrait renforcer une vision plus essentialiste. Cependant, Foucault affirme implicitement que ces faits ne constituent pas à eux seuls la sexualité. Parler de sexualité désigne un aspect profondément enraciné de notre identité, que nous considérons comme une vérité fondamentale sur nous-mêmes. Lier sexe et identité est un phénomène tout à fait moderne. Foucault ne considère pas qu’un tel lien justifie des classifications.
Le titre de ce chapitre renvoie aux quatre principaux sites dans lesquels le pouvoir-savoir de la sexualité s'est consolidé : le corps des femmes, la sexualité des enfants, les couples procréateurs et la perversité. Le discours dominant sur la sexe a articulé et intensifié son pouvoir sur ces sujets. Ces quatre ensembles stratégiques montrent comment des questions d'ordre privé ont été transformées en questions d'intérêt général.
Foucault considère que le dispositif de sexualité n'a pas totalement remplacé le dispositif d’alliance. L’essentiel de son analyse historique ne porte pas sur des ruptures brusques mais plutôt sur des transitions sociales complexes et progressives. Dans le chapitre suivant, Foucault suggèrera ainsi que l'origine de la confession remonte à plus loin que la contre-réforme, en citant le concile du Latran du XIIIème siècle qui a intégré la confession dans la doctrine chrétienne.
Ici, l'accent mis par Foucault sur la famille comme cristallisant la sexualité permet de mieux comprendre les relations entre dispositifs d’alliance et de sexualité. L’étude de la famille bourgeoise traditionnelle montre comment les dispositifs d’alliance et de sexualité se renforcent mutuellement : par exemple, la psychiatrisation des comportements pervers (dispositif de sexualité) renforce l’interdiction de l'inceste, essentielle au dispositif d’alliance.