Foucault soutient que la prolifération des discours sur le sexe au XIXème siècle a fait de la sexualité une préoccupation sociale et un sujet d’étude scientifique majeurs. Les préoccupations morales concernant la bonne conduite sexuelle se sont ajoutées aux spéculations scientifiques (ou pseudo-scientifiques) sur la dégénérescence, la perversion et autres dangers pour l’espèce humaine. La connaissance de la sexualité promettait d'aider à inverser ces processus indésirables. L'intérêt scientifique pour le sexe était plein d'erreurs et de spéculations. En présentant la sexualité comme une question de vérité, le discours sur la sexualité du XIXème siècle associait la science à une morale stricte, qui a grandement influencé les théories racistes développées par la suite.
Malgré un engagement discursif généralisé pour révéler “ la vérité du sexe ”, la science refuse de s’intéresser directement au sexe. Foucault prend l'exemple de la Salpêtrière, un hôpital parisien. Les médecins de la Salpêtrière ont produit de nombreuses études expliquant les diverses perversités qui frappaient leurs patients. La folie, en particulier celle que l'on croyait liée à l'aberration sexuelle, renforçait le sentiment que le sexe était une vérité à découvrir, causant de nombreux maux dans la société. La morale chrétienne a toutefois incité ces médecins à ne pas divulguer certaines informations cruciales portant sur les questions posées aux patients quant à leurs inclinations ou activités sexuelles. La Salpêtrière devient ainsi “ un immense appareil à produire, quitte à la masquer au dernier moment, la vérité. ”.
Le discours sur le sexe au XIXème siècle n'est pas seulement entaché d'erreurs. Il vise uniquement à constituer le sexe comme enjeu de vérité, plus qu’à rechercher cette vérité. Foucault suggère que nous ne pouvons comprendre cette contradiction qu'en étudiant comment les sociétés ont cherché la soi-disant vérité sur le sexualité. Foucault identifie deux manières d'organiser un discours sur la vérité du sexe : un ars erotica ( “ art érotique ”) ou une scientia sexualis ( “science de la sexualité ”). De nombreuses sociétés à travers le monde et à travers le temps ont développé un ars erotica. Seul l'Occident moderne, cependant, aurait construit une scientia sexualis.
L'ars erotica recherche la vérité du sexe par l’expérimentation du plaisir sexuel. Il s'agit d'un ‘art’ au sens où l’ars erotica atteint son but par le raffinement de la pratique. D'une culture à l'autre, l'ars erotica produit un savoir “ ésotérique ”. Parce que ce savoir renvoie à la pratique sexuelle, il doit rester relativement secret afin de ne pas perdre de son efficacité ou de sa vertu.
La scientia sexualis inverse les termes de l'ars erotica. Elle se méfie profondément de l'idée que la connaissance sexuelle peut être obtenue par la pratique. Orientée vers un système de pouvoir-savoir beaucoup institutionnel, la scientia sexualis place un rituel entièrement différent au centre de sa production de savoir : l’aveu. Foucault retrace l'histoire de la confession dans l'Occident moderne, suggérant que l'aveu de ses péchés a joué un rôle essentiel dans la formation de l'individualité moderne. La confession individuelle, adoptée à la fois par l'Église et par le système juridique, reconnaissait l'individu comme sujet. Notant la multitude de domaines – juridique, médical, etc. – dans lesquels la confession est devenue importante au cours de la modernité, Foucault suggère que notre société est une société de l’aveu.
L’aveu est un type de discours dont l'histoire remonte aux disciplines juridiques et religieuses. La scientia sexualis de l'Occident moderne s'est développée en adaptant l'ancien rituel de l’aveu aux règles du discours scientifique. Foucault reconnaît qu'il s'agit d'un projet délicat qui a donné lieu à de nombreuses imprécisions, ce qui importe peu. Foucault étudie plutôt les dynamiques asymétriques de pouvoir au cœur de la scientia sexualis : l’aveu place toujours le patient (ou le pécheur, ou l’accusé) dans une position d’infériorité par rapport à la personne qui pose les questions. La personne interrogée révèle non seulement la vérité sur elle-même mais recherche également le pardon. L’aveu s’oppose ainsi intrinsèquement aux exigences de précision et d’objectivité que nous associons à la science.
Foucault énumère ainsi 5 façons dont l’aveu s’intègre dans la science de la sexualité :
1. Par la “ codification clinique de l'incitation à parler ” : par les façons dont les établissements médicaux ont articulé le besoin de parler de sexualité.
2. Par le “ postulat d'une causalité générale et diffuse ” : l'idée que les conséquences d'une anomalie sexuelle peuvent être beaucoup plus étendues que nous ne l'imaginons, rendant la sexualité très dangereuse si elle n'est pas correctement prise en charge par les experts appropriés.
3. Par le “ principe d'une latence intrinsèque à la sexualité ” : l'idée que la vérité de la sexualité est si profonde dans le psychisme d'une personne que celle-ci peut ne pas être pleinement consciente des secrets de sa sexualité. Il faudrait donc un·e expert·e pour découvrir pleinement la nature des désirs et des motivations sexuelles de cette personne.
4. Par la “ méthode de l'interprétation ” : alors que les experts médicaux deviennent des autorités en matière de désirs secrets – des désirs si secrets que même ceux qui les éprouvent peuvent ne pas les connaître – la confession investit ces experts du pouvoir exclusif de découvrir la vérité.
5. Par la “ médicalisation des effets de l’aveu ” : au fur et à mesure que le XIXème siècle pathologise la sexualité, l’aveu devient une activité thérapeutique visant à guérir les personnes sexuellement " anormales ", par la révélation d'une vérité personnelle qui sera ensuite traitée.
La scientia sexualis fait du sexe une question de vérité. D’une part, elle se fonde sur les méthodes religieuse et juridique d'extraction de la vérité. D'autre part, elle reformule l'ars erotica en déplaçant l'autorité de qui doit produire la vérité du sexe. La scientia sexualis réoriente l'autorité du maître de l'ars erotica, qui obtient personnellement le savoir sexuel, vers le scientifique observateur de la scientia sexualis, qui obtient le savoir sexuel en examinant les autres. Foucault imagine que notre scientia sexualis pourrait impliquer un ars erotica propre, fondé sur la façon dont la connaissance du plaisir peut céder la place au “plaisir à l’analyse”, au plaisir dans la connaissance du plaisir.
Analyse
La troisième partie analyse le concept de vérité et le rapprochement effectué entre pratiques sexuelles et vérité profonde sur l’être humain. Les théories de Sigmund Freud accordent une importance primordiale au développement sexuel des enfants et suggèrent que nous sommes ce que nous sommes du fait de notre énergie sexuelle.
Dans cette partie, Foucault suggère que les origines du lien entre vérité et sexualité sont bien plus anciennes que les théories freudiennes. Elles trouvent leur origine dans la confession catholique des débuts de l'ère moderne. La distinction faite par Foucault entre ars erotica et scientia sexualis nous encourage à être sceptiques quant à ce que signifie discuter de la vérité sur le sexe. L'histoire de ces deux méthodes montre que la ‘vérité’ est une chose insaisissable, quasi spirituelle, voire morale. L'exemple des médecins de la Salpêtrière suggère que l'intérêt scientifique pour le sexe au XIXème siècle poursuivait une notion de vérité située entre la connaissance objective et la spéculation morale.
Foucault ne rejette pas la connaissance scientifique. Il ne remet pas systématiquement en doute les résultats des recherches scientifiques sur le sexe. Foucault insiste plutôt sur le fait que les notions de vérité sont historiques : ce sont des constructions sociales qui émergent dans un contexte spécifique et sont imbriquées dans des relations de pouvoir. Parce que le savoir et le pouvoir sont toujours liés, tout discours sur la vérité, toute pratique scientifique (comme la scientia sexualis) ou tout ensemble de techniques ésotériques (comme l’ars erotica) est intrinsèquement politique.
Si Foucault aborde parfois l'histoire de la sexualité en identifiant des ruptures radicales, il identifie plutôt les continuités entre anciennes et nouvelles pratiques de pouvoir et de production de connaissances. Ainsi, la confession chrétienne a fortement influencé les méthodes de la psychiatrie moderne. De même, le passage de l’ars erotica à la scientia sexualis ne signifie pas que nous ne croyons plus au raffinement des techniques visant à accroître le plaisir sexuel. Cela signifie cependant que les institutions scientifiques ont plus d'autorité que les discours prônant la recherche du plaisir sexuel par la pratique.