On retrouve ce cercle vicieux en toutes circonstances analogues : quand un individu ou un groupe d’individus est maintenu en situation d’infériorité, le fait est qu’il est inférieur ; mais c’est sur la portée du mot être qu’il faudrait s’entendre ; la mauvaise foi consiste à lui donner une valeur substantielle alors qu’il a le sens dynamique hégélien : être c’est être devenu, c’est avoir été fait tel qu’on se manifeste ; oui, les femmes dans l’ensemble sont aujourd’hui inférieures aux hommes, c’est-à-dire que leur situation leur ouvre de moindres possibilités : le problème c’est de savoir si cet état de choses doit se perpétuer.
Cette citation présente le point de vue de l'autrice sur la situation des femmes dans la société. Elle estime qu'en général, le fait de maintenir les femmes — ou d'autres groupes minorisés — dans des situations d'infériorité finit par les rendre inférieures. Par exemple, empêcher aux femmes l'accès à l'éducation parce qu'elles sont considérées comme inférieures leur donne un désavantage intellectuel parce qu'elles finissent par ne pas avoir les mêmes compétences académiques que les hommes. C'est ce que de Beauvoir entend par " sens dynamique hégélien " : les femmes sont considérées inférieures parce qu'elles subissent la domination masculine et finissent par occuper une position sociale inférieure.
On remarque ici un fait très important que nous retrouvons tout au cours de l’Histoire : le droit abstrait ne suffit pas à définir la situation concrète de la femme ; celle-ci dépend en grande partie du rôle économique qu’elle joue ; et souvent même liberté abstraite et pouvoirs concrets varient en sens inverse.
De Beauvoir affirme que plus une femme se conforme aux institutions patriarcales, moins elle est libre. Cependant, moins une femme est impliquée dans la société, moins elle a la capacité de la changer concrètement de l'intérieur. La société a créé tellement de contraintes sexistes qu'une femme qui se plie à des institutions comme le mariage fera face à plus de restrictions qu'une femme qui rejette un tel système. Ainsi, une travailleuse du sexe peut avoir plus de " liberté abstraite " qu'une femme riche. Cependant, ses " pouvoirs concrets ", c'est-à-dire sa richesse économique et sa capacité à influencer la société, sont moins importants car elle n'y est pas intégrée.
C’est dire que la femme est nécessaire dans la mesure où elle demeure une Idée dans laquelle l’homme projette sa propre transcendance ; mais qu’elle est néfaste en tant que réalité objective, existant pour soi et limitée à soi.
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Parce qu’elle est faux Infini, Idéal sans vérité, elle se découvre comme finitude et médiocrité et du même coup comme mensonge.
De Beauvoir analyse la manière dont les hommes représentent les femmes dans l'art et comment une telle représentation affecte leur vision des femmes. En théorie, une femme peut aider un homme à atteindre sa propre transcendance en lui permettant de se connecter à quelque chose d'autre que lui-même. Cependant, parce que dans la " réalité objective ", les femmes existent pour elles-mêmes et sont des êtres humains autonomes, ce type de transcendance est impossible. Ainsi, parce que les femmes ne correspondent pas à leur représentation mythifiée, les hommes ne peuvent parvenir à se transcender au travers d'elles.
On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c'est l'ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu'on qualifie de féminin.
Dans cette affirmation centrale de sa théorie, de Beauvoir affirme que l'identité " femme " ne se définit pas par la biologie, la religion ou la psychanalyse, mais par les valeurs de la société. Ces valeurs amènent souvent les personnes nées de sexe féminin à se définir comme des " femmes " d'une manière spécifique. Ces valeurs sont façonnées par la " l'ensemble de la civilisation ", par opposition à un facteur unique comme la biologie, l'économie ou la psychologie.
le principe du mariage est obscène parce qu'il transforme en droits et devoirs un échange qui doit être fondé sur un élan spontané ; il donne aux corps en les vouants à se saisir dans leur généralité un caractère instrumental, donc dégradant ; le mari est souvent glacé par l'idée qu'il accomplit un devoir, et la femme a honte de se sentir livrée à quelqu'un qui exerce sur elle un droit.
De Beauvoir rejette le mariage en tant qu'institution car elle estime qu'il n'implique ou ne permet ni amour, ni respect, ni égalité. Au contraire, elle explique que le mariage impose une structure à des émotions qui devraient naturellement ne pas en avoir, comme l'affection et l'amour.
Il nous est possible à présent de comprendre pourquoi, dans les réquisitoires dressés contre la femme, des Grecs à nos jours, se retrouvent tant de traits communs ; sa condition est demeurée la même à travers de superficiels changements, et c'est elle qui définit ce qu'on appelle le " caractère " de la femme : elle se " vautre dans l'immanence ", elle a l'esprit de la contradiction, elle est prudente et mesquine, elle n'a pas le sens de la vérité, ni de l'exactitude, elle manque de moralité, elle est bassement utilitaire, elle est menteuse, comédienne, intéressée ...
De Beauvoir résume ici certains jugements et préjugés sur les traits de caractère attribués aux femmes. Elle estime que ces traits de personnalité n'existent chez les femmes qu'en raison de leur position défavorisée dans la société. C'est la " condition " de la femme, qui n'a pas vraiment évoluée en plusieurs siècles, qui suscite de telles réactions.
Cependant, il y a eu, il y a encore quantité de femmes qui cherchent solitairement à réaliser leur salut individuel. Elles essaient de justifier leur existence au sein de leur immanence, c'est-à-dire de réaliser la transcendance dans l'immanence. C'est ce ultime effort — parfois ridicule, souvent pathétique — de la femme emprisonnée pour convertir sa prison en un ciel de gloire, sa servitude en souveraine liberté que nous trouvons chez la narcissiste, chez l'amoureuse, chez la mystique.
De Beauvoir estime que même les femmes qui cherchent et poursuivent leur vie indépendamment des hommes finissent par être piégées par les nombreuses contraintes sociales auxquelles elles sont confrontées. Certaines femmes tentent de justifier leur existence non pas par leur soumission à la domination masculine mais par la célébration de leur propre être. De Beauvoir estime qu'il ne s'agit simplement pas d'une transformation radicale, mais d'une forme d'acceptation optimiste des normes sociales. Elle poursuit en expliquant, dans trois chapitres distincts, comment un tel comportement se manifeste au travers de trois idéaux-types : les femmes narcissiques, amoureuses et mystiques.
La malédiction qui pèse sur la femme vassale, c'est qu'il ne lui est permis de rien faire : alors, elle s'entête dans l'impossible poursuite de l'être à travers le narcissisme, l'amour, la religion ; productrice, active, elle reconquiert sa transcendance ; dans ses projets elle s'affirme concrètement comme sujet ; par son rapport avec le but qu'elle poursuit, avec l'argent et les droits qu'elle s'approprie, elle éprouve sa responsabilité.
De Beauvoir fait référence à l'idée selon laquelle le caractère des femmes est façonné par leur situation sociale. Ne pouvant souvent pas exercer de travail créatif, elles se tournent vers les domaines qui sont à leur disposition, comme l'amour ou la religion. Toutefois, de Beauvoir estime que cette situation n'est ni permanente ni inévitable. Les femmes qui ont plus de capital économique ont des opportunités déjà bien plus ouvertes, qui peuvent déboucher sur plus de responsabilités et de pouvoir.
Le privilège que l'homme détient et qui se fait sentir dès son enfance, c'est que sa vocation d'être humain ne contrarie pas sa destinée de mâle.
Cette citation résume l'attitude de de Beauvoir à l'égard des différences entre les hommes et les femmes instaurées dans la société. Pour les hommes, leur genre ne limite pas leurs objectifs créatifs, leur liberté ou leurs interactions sociales. Pour les femmes, en revanche, leur genre est source de restrictions sociales et spatiales. Les femmes sont principalement reléguées à la sphère privée, symbolisée par le foyer.
Pour regarder l'univers comme sien, pour s'estimer coupable de ses fautes et se glorifier de ses progrès, il faut appartenir à la caste des privilégiés ; à ceux-là seuls qui en détiennent les commandes il appartient de le justifier en le modifiant, en le pensant, en le dévoilant ; seuls ils peuvent se reconnaître en lui et tenter d'y imprimer leur marque.
De Beauvoir explique pourquoi, selon elle, seuls les hommes ont produit des œuvres témoignant d'une forme de génie. Les hommes sont capables de créer du " génie " parce qu'ils éprouvent un fort sentiment de domination et qu'ils ont confiance en leurs idées et leurs capacités. Parce que les femmes n'ont jamais été valorisées et acceptées dans la société de la même manière, elles n'auraient supposément pas encore produit de telles œuvres.