Résumé
Dans son introduction, de Beauvoir explique que Le Deuxième sexe est né de la controverse autour de ce que signifie être une femme. La “ féminité ” est-elle biologique ? Peut-elle être définie ? L’autrice commence à définir la catégorie de “ femme ” en tenant compte du fait qu'elle ressent le besoin de se définir avant tout comme une femme, alors que les hommes ne ressentent pas le besoin de s'identifier aussi ouvertement à leur genre. La femme est considérée comme " autre ” parce que l'homme se définit comme un élément neutre, de référence : c’est l’être au travers duquel la femme est définie. De Beauvoir donne aux femmes la responsabilité de changer ce référentiel, en soulignant qu’elles doivent se redéfinir comme sujets. Elle considère qu’il est plus difficile pour les femmes de changer cette dynamique que pour d’autres groupes minorisés, parce que les femmes ne peuvent pas simplement combattre leur oppresseur ; elles ont besoin des hommes pour survivre.
De Beauvoir souligne qu'il est difficile d'écrire sur ce paradoxe du fait des stéréotypes de genre. Pour résoudre ce problème, elle propose un cadre pour définir et atteindre la " liberté ” des femmes. Dans la première partie de son ouvrage, elle examine trois perspectives différentes sur la manière de définir les femmes : la biologie, la psychanalyse et le matérialisme historique.
Dans son chapitre sur la biologie, de Beauvoir se pose deux questions : “ Que représente dans règne animal la femme ? Et quelle espèce singulière de femelle se réalise dans la femme ? ”. Elle souligne tout d’abord que la division des espèces en deux sexes n'est pas universelle. Il existe par exemple des espèces unicellulaires qui se reproduisent individuellement ainsi que des espèces hermaphrodites. Elle conteste ainsi les hypothèses de philosophes comme Platon et Hegel, qui pensent que la division en deux sexes est un état naturel de l'être vivant. Elle conclut que la théorie de l’évolution ne permet pas d’effectuer une hiérarchie scientifique fondée sur le sexe. Elle souligne également que les théories sociales qui discriminent les femmes sur la base de la biologie reposent sur de fausses hypothèses ou de fausses interprétations. Elle prend l’exemple selon lequel les femmes sont plus “ passives ” dans la reproduction et montre qu’il est entièrement faux : les spermatozoïdes et les ovules se rencontreraient sur un pied d'égalité pour donner naissance à une nouvelle vie.
Dans l'ensemble, de Beauvoir met en garde contre toute supposition concernant la “ lutte des sexes ” chez les humains sur la base de faits tirés de la nature. Elle cite plusieurs exemples d'espèces dans lesquelles les deux sexes interagissent de manière très différente. Elle expose aussi sa théorie selon laquelle chez l’être humain, la puberté affaiblit plus les femmes que les hommes : le corps d’une femme devient " autre chose qu'elle ”, au travers de moments clés comme les règles ou l’accouchement par exemple. Sur cette base, elle explique que les femmes âgées ayant dépassé l'âge de la procréation sont parfois considérées comme un sexe à part, car la capacité de procréation est un élément central de la définition de la femme dans la société actuelle. Elle admet que ces faits biologiques concernant les humains sont importants à prendre en compte mais ne pense pas qu’ils soient suffisants ou déterminants pour définir une femme.
De Beauvoir termine ce chapitre sur la biologie en rappelant que certains traits sont relatifs ; par exemple, la “ faiblesse ” n'est négative que dans une société où la recherche d’un certain type de “ force ” est valorisée. La biologie ne suffit pas à définir la condition humaine, car les humains forment un groupe d’être très divers, influencés par de nombreux facteurs, économiques, politiques, sociaux, qui contextualisent leur existence. De Beauvoir souhaite que la biologie soit toujours examinée à l’aune de ces facteurs. Une femme ou un homme ne se définit pas par ses caractéristiques biologiques.
Le second chapitre porte sur la psychanalyse. De Beauvoir y présente et critique les théories freudiennes. Freud considère ainsi que les femmes sont des versions abîmées, incomplètes des hommes. Elle réfute cette hypothèse en affirmant que c'est la société qui présente les femmes comme telles. De Beauvoir reproche à la psychanalyse de considérer que certains comportements constituent des pulsions naturelles, sans étudier les mécanismes qui expliquent ces pulsions. Pour de Beauvoir, les valeurs sont impliquées dans l'explication du fonctionnement de la sexualité. Elle fait ici référence à L'Être et le néant de Sartre pour expliquer sa propre théorie selon laquelle les humains sont en fait concentrés sur une " quête des vraies raisons de vivre ”, dont la sexualité fait partie.
De Beauvoir souligne ensuite certaines divergences entre sa théorie et la psychanalyse. Elle définit ainsi la sexualité comme étant façonnée par les valeurs de la société. Par ailleurs, elle accorde aux femmes un plus grand degré de liberté : les femmes ne sont pas soumises inconsciemment à certaines pulsions, mais doivent plutôt choisir entre différentes valeurs dans chacun de leurs actes. de Beauvoir rejette la vision des psychanalystes selon laquelle les filles sont déchirées entre les tendances " viriloïdes ” de leur père et les tendances " féminines ” de leur mère. Au contraire, elle voit les femmes prises entre le rôle d'objet ostracisé et la possibilité de leur liberté.
Enfin, dans son chapitre sur le matérialisme historique, de Beauvoir examine le rôle de l'histoire dans la formation et l’institutionnalisation de la différence entre les hommes et les femmes. Elle expose brièvement la théorie d’Engels selon laquelle l'histoire est façonnée par la technologie. Engels affirme que le développement de la propriété privée a engendré la dévalorisation des femmes dans la société car les fonctions productrices de richesses économiques, souvent exercées par des hommes, sont plus valorisées. L’autrice rejette cette théorie comme étant superficielle car elle ne rend pas compte de la manière dont ces valeurs se sont développées en premier lieu. Elle liste les facteurs qui déterminent la condition des femmes en dehors de la répartition du travail, comme l'accouchement et la sexualité. Parce qu'ils ne sont pas pris en compte par les matérialistes historiques, elle estime qu'il est nécessaire d'aller au-delà de cette théorie afin d'expliquer pleinement la condition des femmes dans la société.
Analyse
De Beauvoir commence son livre en déclarant qu’aborder la condition sociale des femmes et la signification même du mot " femme ” est un sujet " irritant ”, en particulier pour les femmes elles-mêmes. Son livre se veut être une réponse aux théories existantes : elle ne l'écrit pas parce que le sujet l'intéresse particulièrement, mais parce qu'elle ressent le besoin de répondre à des analyses antérieures de la féminité qu'elle juge imparfaites ou non pertinentes. Elle consacre donc la première partie du Deuxième sexe à présenter et répondre aux différents systèmes de définition de la féminité – biologique, psychanalytique et historique / économique. Elle essaye ici de démanteler les systèmes de pensée existants.
De Beauvoir prend également soin d'évoquer ses propres préjugés, afin d'apprendre aux lecteurs à reconnaître les leurs. Dans le premier paragraphe de son introduction, elle souligne : “ On ne sait plus bien s’il existe encore des femmes, s’il en existera toujours, s’il faut ou non le souhaiter, quelle place elles occupent en ce monde, quelle place elles devraient y occuper. ”. Elle admet la difficulté de définir la féminité ou ce qu’est être une femme, invitant les lecteurs à faire preuve d'esprit critique. Plus loin, elle écrit également : “ Si je veux me définir je suis obligée d’abord de déclarer : « Je suis une femme » ; cette vérité constitue le fond sur lequel s’enlèvera toute autre affirmation. ”. Cet aveu sert à révéler d'emblée son propre parti pris et alerte également les lecteurs sur l'impossibilité d'écrire de manière neutre.
Le ton de Beauvoir est souvent ironique, invitant ses lecteurs à rire de l'absurdité de certaines hypothèses. Par exemple, dans son premier paragraphe, elle mentionne les adeptes de la théorie de l'éternel féminin, qui " chuchotent : « Même en Russie, elles restent bien femmes » ”. De Beauvoir ne se contente pas de rejeter d'emblée ces théories, mais les décrit en détails afin de montrer leur incohérence et leur absurdité.
De Beauvoir expose ses objectifs au début et à la fin de chaque chapitre. Par exemple, à la fin de son introduction, elle déclare : “ Aussi commencerons-nous par discuter les points de vue pris sur la femme par la biologie, la psychanalyse, le matérialisme historique. ”. Elle invite ainsi les lecteurs à la suivre dans son étude des différentes théories, dans une approche pédagogique. Cette construction permet également de structurer les bases de sa propre pensée, qu’elle exposera dans le second volume. De Beauvoir utilise par ailleurs fréquemment des questions afin de stimuler la réflexion de ses lecteurs et de les aider à suivre sa logique. En formulant les questions qui sous-tendent son raisonnement, de Beauvoir invite ses lecteurs à entrer dans son processus de réflexion, ce qui laisse la place à une lecture plus critique du texte.