Vladimir Nabokov commence à écrire Lolita, son troisième roman en langue anglaise, alors qu'il enseigne à l'université de Cornell en 1949. Il continue d'écrire le roman tout en voyageant avec sa femme à travers le pays lors de sorties estivales de chasses aux papillons (Nabokov était un lépidoptériste, spécialiste des papillons, réputé) et achève le roman en 1954.
Nabokov avait déjà acquis une certaine popularité auprès du public intellectuel américain grâce notamment aux nouvelles et aux essais publiés dans le New Yorker. Pourtant, dans le contexte conservateur de l'époque (on était en plein maccarthysme), les quatre éditeurs américains auxquels il présenta le manuscrit de Lolita refusèrent poliment de le publier, craignant, comme le reconnut l'un d'eux, de se retrouver en prison. En désespoir de cause, Nabokov consentit à ce que son agent littéraire français présente le manuscrit à Maurice Girodias, directeur de l'Olympia Press, dont il n'avait bien sûr jamais entendu parler. Girodias s'était spécialisé dans la publication en anglais de textes difficiles ou scabreux, travaillant parfois en parallèle avec Jean-Jacques Pauvert qui, lui, publiait souvent ces mêmes textes en langue française. Bien que Girodias n'éditait pas que des romans pornographiques, mais aussi des ouvrages ambitieux, la collection verte dans laquelle il publia Lolita avait une réputation sulfureuse partiellement méritée, ce que l'on omit de dire à Nabokov.
L’ouvrage ne fut imprimée en Europe qu'en 1955 (et en 1958 pour l'Amérique). Le roman n'aurait peut-être pas provoqué autant de remous lors de sa parution à Paris en septembre 1955 si Graham Greene n'en avait pas fait une présentation aussi dithyrambique dans le Sunday Times trois mois plus tard. La polémique qui s'ensuivit dans la presse anglaise amena les autorités britanniques à s'intéresser à ce livre qui entrait clandestinement dans le pays. Horrifiées, elles intervinrent auprès du ministère de l'Intérieur français pour qu'il fût interdit. Le ministre de l'Intérieur Maurice Bokanowski s'exécuta et interdit non seulement Lolita mais aussi vingt-quatre autres titres publiés par Girodias. Ce dernier, dont la maison d'édition se trouvait ainsi mise en péril, décida de contester la décision du ministre devant le tribunal administratif et publia une affiche, L'affaire Lolita, pour dénoncer l'illégalité de la décision et vanter les qualités littéraires du roman qu'il utilisait comme paravent pour faire lever l'interdit sur les autres livres. La presse française s'émut et prit la défense de Lolita, ce qui allait lui assurer un succès de scandale. Girodias finit par obtenir gain de cause, même si, lors du retour au pouvoir du général de Gaulle, le roman fut de nouveau frappé d'interdiction pendant quelque temps.
Le livre, alors devenu célèbre, fut acclamé par la critique, et ses ventes et sa traduction cinématographique en 1962 (réalisée par Stanley Kubrick) permettent à Nabokov de se retirer de l'enseignement et de se consacrer à l'écriture à Montreaux, en Suisse, en 1960.
On confia à Éric Kahane, le frère de Maurice Girodias, le soin de traduire ce texte difficile. Nabokov, qui possédait une excellente connaissance du français, se garda un droit de regard sur le texte final ; mais la première traduction du roman au français ne fut pas jugée satisfaisante par l’auteur, qui l’avait d’ailleurs partiellement revue lui-même, sans avoir le temps de la terminer. Maurice Couturier, qui est l’éditeur de Nabokov dans la Pléiade, travailla à la nouvelle version Lolita, nouvelle traduction sur laquelle nous nous basons à partir des corrections de Nabokov et de la version russe du roman, dans laquelle l’auteur apportait des précisions pour un public qu’il savait peu familier des mœurs américaines.
Malgré tout le tapage fait autour du caractère sexuel du roman, Lolita ne traite pas tant de l'érotisme physique que de l'érotisme verbal. Nabokov affirmait que « le sexe en tant qu'institution » l'ennuyait, et le lecteur salace qui attend un récit grossièrement graphique sera déçu ; le désir irrésistible et turgescent de Humbert pour Dolores s'exprime, pour la plus grande partie, sous la forme d'un amour biaisé, irrésistible et tragique. Nabokov marque avec ce roman la langue anglaise de façon permanente, introduisant deux nouveau néologismes : « nymphette », qui désigne les très jeunes filles qu’Humbert perçoit comme attirantes et séductrices, et bien sûr « Lolita », le parangon de cette espèce.
Cependant ces termes sont à entendre et à utiliser avec attention : ils on tous deux été influencé par une lecture parfois mauvaise du roman comme étant une histoire d’amour et par la culture populaire autour de la sexualisation des jeunes filles. L'intention de Nabokov était que Lolita soit lue non pas comme une histoire d'amour, mais comme le récit troublant de la manipulation d'un prédateur pédophile.
Nabokov préférait que Lolita soit « le témoignage de [son] histoire d'amour avec la langue anglaise », plutôt que celui de sa vision européenne de l'Amérique. Pourtant, le roman est un véritable musée de l'Amérique des années 1950, depuis l'adoration des films populaires par la jeune héroïne en bobby-sox, jusqu'aux valeurs bourgeoises de Charlotte Haze.
Ce roman demeure le plus célèbre Nabokov, aussi bien auprès des lecteurs que des universitaires, et continue de susciter la controverse ; ses versions cinématographiques réalisées plus tard, en 1962 par Stanley Kubrick et en 1997 par Adrian Lyne, peinent toutes deux à être projeté en salle aux États-Unis.