Lolita (en français)

Lolita (en français) Citations et Analyse

Lolita devrait nous inviter tous – parents, travailleurs sociaux, éducateurs – à redoubler d'efforts et à faire preuve de vigilance et de sagacité afin d'élever une génération meilleure dans un monde plus sûr.

Avant-propos

Cette citation, tirée de la fin de l'avant propose factice par John Ray Jr., semble être une grave déclaration. Pourtant, lorsque nous en faisons l'analyse à postériori, elle paraît manifestement ridicule. En sa qualité d'éditeur de littérature psychiatrique, Ray est naturellement attaché à l'idée que ce domaine peut éclairer le roman, qui selon lui a le potentiel de devenir un ouvrage de référence important. Cependant, Nabokov, fervent critique de la psychanalyse, a écrit Lolita en adoptant une perspective romantique. Son narrateur, Humbert, dépeint ses pulsions comme étant émotionnelles et artistiques, plutôt que psychologiques ou scientifiques ; présentant ainsi les thèmes de la luxure et de l'amour comme étant plus importants que leurs tentatives d'explication scientifique. Par conséquent, la tentative de l'auteur de l'avant propos d'affirmer que le roman a une certaine « signification sociale » en devient ironique.

Bien que Nabokov n'excuse ni la pédophilie d'Humbert ni sa nature contrôlante, et qu'il décrive clairement l’horreur de la situation de Dolores, le roman n'est pas moralement didactique. Humbert, romantique et persuasif, n'est pas un narrateur fiable ; mais il convainc cependant le lecteur de sympathiser avec lui. Il ne se dépeint pas exactement comme un méchant, ni Dolores comme la fillette qu'elle est réellement : la frontière entre le bien et le mal n'est pas clairement tracée. Quilty, décrit par notre narrateur comme une ombre malveillante, lui est pourtant très semblable. La prétendue morale disséminée dans le roman, des tendances religieuses de Charlotte à l'analyse psychologique de Mme Pratt, est dépeinte de manière comique. Elle conduit souvent à des conclusions absurdes et rend les personnages aveugles à la réalité de ce qui se passe autour d'eux. Par conséquent, l'affirmation de John Ray Jr. selon laquelle Lolita peut être lu comme une leçon de morale, semble être une tentative ironique de justifier une histoire aussi sordide et qu'immoral - et présume que le sens réel du roman sera claire pour le lecteur, ce qui n’est pourtant pas évident.

Je découvris qu'en bluffant les psychiatres on pouvait tirer des trésors inépuisables de divertissements gratifiants : vous les menez habilement en bateau, leur cachez soigneusement que vous connaissez toutes les ficelles du métier ; vous inventez à leur intention des rêves élaborés, de purs classiques du genre (qui provoquent chez eux, ces extorqueurs de rêves, de tels cauchemars qu'ils se réveillent en hurlant) ; vous les affriolez avec des « scènes primitives » apocryphes ; le tout sans jamais leur permettre d'entrevoir si peu que ce soit le véritable état de votre sexualité.

Première partie, chapitre 9

Humbert raconte une nouvelle hospitalisation en clinique psychiatrique à la suite d'une dépression, et il explique que plutôt que grâce aux soins des médecin, c’est en se jouant d’eux que son moral s'est rétabli. La facilité avec laquelle il manipule ses psychiatres donne une piètre image de leurs compétences, ainsi que du domaine de la psychiatrie en général. En racontant cette anecdote, notre narrateur vise à discréditer cette discipline en en soulignant les lacunes.

Cette seconde citation s’oppose à la précédente, où justement John Ray Jr. Met suggère une lecture du roman en tant que texte didactique pour cette même discipline, ici moquée. Cette ironie est volontaire : Nabokov, sévère critique de la psychanalyse, tourne en dérision de nombreux clichés psychanalytiques tout au long du roman. Il pointe du doigt l’idée que, lorsque utilisé par un pervers narcissique, ces clichés et interprétations pourraient avoir un impact négatif, justifiant un comportement maladif et jouant en sa défense.

Un poème, un authentique poème en vérité ! C'était si étrange et si délicieux de découvrir cette « Haze, Dolores » (elle-même !) dans cette charmille d'un genre très particulier, avec ces deux roses comme gardes du corps – une princesse de conte de fées entre ses deux demoiselles d'honneur. J'essaie d'analyser le frisson de délice que fait courir le long de mon échine ce nom perdu au milieu des autres. Qu'est-ce donc qui m'excite ainsi jusqu'au bord des larmes (larmes brûlantes, opalescentes, épaisses comme seuls savent en verser les poètes et les amants) ?

Première partie, chapitre 11

Dans ce chapitre, juste avant cette extrait, Humbert lit la liste des camarades de classe de Dolores comme s'il s'agissait d'un poème, un choix qui illustre ses aspirations esthétiques. Son obsession de voir le monde uniquement à travers son regard de poète transparaît continuellement dans le style de sa narration, et cette citation en est un excellent exemple. L'imagerie fantasque qu'il utilise ici reflète qu’il ne perçoit pas son obsession pour la fillette comme quelque chose de problématique. Il influence ainsi positivement l’opinion du lecteur lui-même sur ses instincts pourtant pédophiles en valorisant ses qualités de poète et d’artiste.

J'étais fier de moi. J'avais ravi le suc d'un spasme sans attenter à la morale d'une mineure. Absolument pas de mal à ça. Le prestidigitateur avait versé du lait, de la mélasse, du champagne spumescent dans le sac à main blanc tout neuf d'une jeune demoiselle ; et, miracle, le sac était intact. J'avais échafaudé si subtilement mon rêve ignoble, ardent, infâme, que Lolita était toujours saine et sauve – et moi aussi.

Première partie, chapitre 14

Cette citation fait référence au chapitre précédent, dans lequel Humbert abuse de Dolores pour la première fois sans, il le pense, qu’elle s’en rende compte. Il pense avoir ainsi préservé l’innocence de la jeune fille, et le soulagement qu'il en éprouve témoigne qu'il est conscient que ses sentiments sont inappropriés. Il se prétend ainsi préoccupé de maintenir un certain degré de morale dans ses rapports avec elle.

Cependant, cette morale est arbitraire, entièrement définie par notre narrateur lui-même : même si l’enfant ne s’en rend réellement pas compte, il n’est absolument pas correct de satisfaire un désir pédophile. De plus, la fin de cette citation suggère que ses préoccupations en matière d'étique et de morale sont en fait égocentriques, résultat de son propre besoin d'auto-préservation, plutôt que d'une véritable préoccupation pour la santé de la fillette.

Et maintenant veuillez noter l'importante remarque suivante : l'artiste en moi vient de prendre le pas sur le gentleman. C'est au prix d'un prodigieux effort de volonté que dans ce mémoire je suis parvenu à accorder mon style au ton du journal que je tenais à l'époque où Mrs. Haze ne constituait pour moi qu'un obstacle. Ce journal n'est plus ; mais j'ai estimé que c'était mon devoir en tant qu'artiste d'en préserver les intonations, si fausses et si brutales qu'elles paraissent maintenant.

Première partie, chapitre 17

Lorsque Humbert arrive au point de son récit où il décide d'épouser Charlotte Haze, il s'arrête et évoque le ton de sa narration avec son public. Ce passage rappelle au lecteur à quel point il a le pouvoir de manipuler son témoignage par le seul biais des mots. Il s'appuie sur cette capacité tout au long du roman pour tenter de minimiser la gravité de ses crimes.

Espèce de crétin, dit-elle en me gratifiant d'un sourire exquis. Espèce de créature immonde. J'étais pure et fraîche comme une pâquerette, et regarde ce que tu m'as fait. Je devrais appeler la police et leur dire que tu m'as violée. Oh, vicieux, vieux vicieux.

Première partie, chapitre 32

Alors que le narrateur présente leur relation comme une romance, utilisant des descriptions grandioses et poétiques pour déguiser ses abus, cette citation déchire cette illusion. C’est l'un des rares moments de la première partie du roman où nous entendons directement la voix de Dolores, qui exprime clairement sa conscience de l’abus dont elle est victime. Elle qualifie Humbert de « vieux vicieux » et de « créature immonde », et l’accuse de l’avoir violé, ce qui contraste brutalement avec l’image que ce dernier essaie de construire.

Ce moment révèle la dissonance entre la réalité brutale de son expérience et la narration enjolivée de notre narrateur. Dolores, loin d'être une complice passive, est ici une victime qui confronte son agresseur, exprimant son amertume et sa douleur avec une lucidité déchirante. En se décrivant comme « pure et fraîche comme une pâquerette », elle exprime une nostalgie douloureuse pour son innocence perdue. Elle n’est pas la participante consentante d’une romance, mais bien la victime d’un crime.

Le ton de la citation révèle la complexité émotionnelle du personnage, habituellement masquée par le narrateur. Son langage et ses expressions montrent une combinaison de colère, de douleur et de manipulation, qui reflètent la profondeur et la confusion de ses sentiments. Le passage est empreint de leur dynamique toxique et compliquée : elle l’accuse tout en lui offrant un « sourire exquis » dans une ironie poignante. Ce sourire, contradictoire par rapport aux insultes, suggère une forme de complexité malsaine où Dolores est forcée à naviguer un monde où elle est à la fois victime, et adulée par son agresseur. Elle joue le jeu pour s’assurer de sa survie, lui offrant ce qu’il souhaite voir pour pouvoir s’exprimer.

- Explorons votre esprit. Ne pensez-vous pas que les crimes sexuels diminueraient si les enfants se soumettaient à quelques interdits ? Interdit de jouer autour des toilettes publiques. Interdit d'accepter des bonbons et de monter en voiture avec des inconnus. Si on vous prend en voiture, notez le numéro d'immatriculation.

- … et la marque des bonbons », me hasardai-je à ajouter.

Elle poursuivit, sa joue (fuyante) contre la mienne (pressante) ; et encore, notez-le bien, ô lecteur, c'était là un bon jour !

- Si vous n'avez pas de crayon mais êtes en âge de lire…

- Nous, citai-je facétieusement, mariniers médiévaux, avons placé dans cette bouteille…

- Si, répéta-t-elle, vous n'avez pas de crayon mais êtes en âge de lire et d'écrire – c'est bien ce que ce type veut dire, non, espèce d'imbécile – arrangez-vous pour graver le numéro sur le bord de la route.

Avec tes petites griffes, Lolita.

Seconde partie, chapitre 2

Cette citation reflète le contexte historique et culturel des années 1940-1950, marqué par une préoccupation croissante pour les enlèvements d’enfants aux États-Unis. Les recommandations comme « interdit d'accepter des bonbons et de monter en voiture » et « notez le numéro d'immatriculation » soulignent cette préoccupation sociale. Le cas de Sally Horner et d’autres enlèvements d’enfants sont très médiatisé, suscitant la peur chez les parents. Cette état de panique généralisé provoquera plus tard la création de campagnes d’avertissement nationales comme le « Missing Children Milk Carton Program ».

Dans le contexte du roman, ce passage peut être vu comme une satire des mesures de sécurité qui sont souvent irréalistes et inefficaces. Dans la plupart des cas, les victimes de pédophilie et d’inceste sont abusées par un membre de leur entourage ou de leur famille proche.

La manière dont Dolores se réfère aux recommandations de sécurité avec une certaine ironie presque absurde montre qu'elle perçoit ces avertissements avec beaucoup de distance, comme déconnectée de la réalité. Leur relation dans cette scène est empreinte d'une complicité troublante, où l’avertissement devient un sujet de jeu alors que la fillette en question est justement une victime.

La manière dont Humbert interjette avec une certaine ironie illustre à quel point il nie, banalise ou minimise la gravité de la situation qu’il impose à Dolores. Le fait qu’elle lise ce passage à voix haute suggère qu’elle réalise ce qui lui arrive, et il la torture psychologiquement en ajoutant à la fin « Avec tes petites griffes, Lolita », bien conscient qu’elle n’a aucun moyen de s’échapper. Il la manipule et joue avec elle, en utilisant ici le sujet des enlèvements d’enfants, pour créer une sorte de complicité malsaine. La façon dont il interjette Dolores dans cette conversation révèle l’étendu de son emprise et son habileté à détourner des sujets sérieux pour servir ses propres intentions.

Nous étions allés partout. En fait, nous n'avions rien vu. Et aujourd'hui je me surprends à penser que notre long voyage n'avait fait que souiller d'une sinueuse traînée de bave ce pays immense, admirable, confiant, plein de rêves, qui, rétrospectivement, se résumait pour nous désormais à une collection de cartes écornées, de guides touristiques disloqués, de vieux pneus, et à ses sanglots la nuit – chaque nuit, chaque nuit – dès l'instant où je feignais de dormir.

Seconde partie, Chapitre 3

Ce passage résume parfaitement la relation ambiguë qu'entretient Humbert avec son pays d'adoption et son rapport avec Dolores. Il critique ouvertement la vulgarité et le caractère superficiel de la culture populaire américaine. Au cours du roman, il méprise les valeurs puritaines de Charlotte et tente sans cesse d'inculquer à sa fille une éducation qu'il estime supérieure. Cependant, malgré sa condamnation de la culture américaine, il est, comme beaucoup d'expatriés, amoureux de l'Amérique, de sa taille, de sa jeunesse et de sa beauté naturelle. Bien qu'il la méprise, il est attiré par sa personnalité qu'il juge « admirable, confiant, plein de rêves ».

Son désir pour Dolores l'a pourtant rendu aveugle à tout le reste. Leur voyage à travers le pays n'était qu'une fuite en avant pour tenter de maintenir la fillette d'humeur passable et docile. À chaque arrêt, ils ressemblent de plus en plus aux touristes superficiels et mâcheurs de chewing-gum qu’Humbert. Les voyages ne les enrichissent pas, ni ne les éduquent : ils ne font qu'errer, et il comprend à quel point leur voyage est un gâchis. Ses constantes comparaison de Dolores à l’Amérique laissent penser que par souiller le pays, il entend avoir souillé la jeune fille - avoir gâché ses qualités à elle, préalablement confiante, pleine de rêve.

Le lecteur entrevoit l’aspect monstrueux du narrateur, capable de faire le mal dans sa quête pour posséder Dolores. Il avait précédemment planifié des actes ignobles, comme épouser sa mère pour se rapprocher d'elle, ou lui donner des somnifères pour pouvoir l'abuser, mais à l'époque il n'avait pas été capable de mettre ses plans à executions. Aujourd'hui, même les sanglots de l'enfant ne peuvent le détourner de son objectif de la garder pour lui seul. Il la tient sous son contrôle en ignorant qui elle est réellement - préférant rester aveuglé par son désir. En fin de compte, il la garde captive car il sait, secrètement, que son amour ne sera jamais réciproque. Il se leurre lui même en pensant qu'il lui fait passer un bon moment - au fond, il sait que son désir les détruira tous les deux.

Dès cet instant, je cessai de contenir ma voix, et nous continuâmes à hurler l'un après l'autre, et elle dit des choses indignes d'être imprimées. Elle dit qu'elle me haïssait. Elle me fit de monstrueuses grimaces, gonflant ses joues et faisant un floc d'une sonorité diabolique. Elle prétendit que j'avais essayé plusieurs fois de la violer quand j'étais pensionnaire chez sa mère. Elle était sûre que j'avais assassiné sa mère, dit-elle.

Seconde partie, Chapitre 14

Dans le chapitre 14 de la deuxième partie, une grave dispute éclate entre Humbert et Dolores lorsqu'il apprend qu'elle n'a pas assisté à ses leçons de piano. La capacité de la fillette à le confronter avec autant d'agressivité témoigne de son indépendance croissante et du rejet de son emprise sur elle. Elle sait exactement quoi dire pour lui faire peur, et elle utilise cette habileté pour le manipuler tout au long de leur deuxième voyage.

Tant que l'on ne pourra pas me prouver – à moi tel que je suis aujourd'hui, avec mon cœur et ma barbe, et ma putréfaction – que cela est sans conséquence aucune à très long terme qu'une enfant nord-américaine nommée Dolores Haze ait été privée de son enfance par un maniaque, tant qu'on ne pourra pas le prouver (et si on le peut, alors la vie n'est qu'une farce), je n'entrevois d'autre cure à mon tourment que le palliatif triste et très local de l'art verbal.

Seconde partie, Chapitre 31

Dans cette phrase, située vers la fin du roman, Humbert prend nettement conscience de la tragédie que constitue l'enfance brisée de Dolores. Jusqu'à présent, il a été égoïstement indifférent à toute autre chose que de la préserver sous son contrôle ; aveugle même à la personne qu'elle était réellement. Bien qu'il ait fourni au lecteur de nombreux indices sur sa personnalité, il ne la voit pas autrement que comme objet de son désir.

Il n'est pas précisé si le « maniaque » dans la citation s'agit de lui-même ou de Quilty. Bien qu'il fasse souvent allusion au fait qu'il ait été un père inadéquat et défaillant, il désigne souvent le dramaturge comme véritable destructeur de l'innocence de Dolores. Ici encore, même face au doute et au dégoût de soi, Humbert n'assume pas la pleine responsabilité de ses actes et ne se dénonce pas ouvertement comme étant coupable. Il suggère plutôt un « maniaque » abstrait, les dénonçant ainsi tous deux, lui et son double.

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